hmorganlettrine2Imaginez douze « Femen » ayant échangé leur costume d’Eve pour un scapulaire barré d’une croix d’écarlate, ayant abandonné leurs bruyantes revendications et provocations pour tenter de recréer l’abbaye de Port-Royal des Champs, et cela en dépit des autorités religieuses et politiques…
Tel est l’argument de ce texte très singulier d’Hélène Raveau, faux roman mais vrai livre. Parmi ces orantes, ces pures âmes, une voix, plus brûlée par l’amour de Dieu que les autres, narre l’histoire de cette résurrection, ou plutôt de ce « relèvement » de l’abbaye dont la totale destruction jusqu’au « vif fond » fut ordonnée trois cents ans plus tôt par le Roi-Soleil.
L’extraordinaire réussite de ce petit livre est dans sa facture très originale: une suite de fragments, une cascade d’alinéas qui relèvent davantage de la prose poétique que de la narration, et qui réclament, de ce fait, une lecture attentive et, je dirai, célébrante et mémorielle (de par le feuilletage des temporalités). Les blancs intercalaires imposent des silences, installent une temporalité « suspendue », hors-temps, grâce à laquelle notre lecture devient plus réflexive, plus fervente à l’image de ce style, épuré, tendu, farouche, ultime parfois qui réveille en nous la soif de spiritualité et laisse entrevoir, presque espérer, la paix d’une vie « voilée en Dieu ».
Ce premier livre d’Hélène Raveau* saisit par son étonnante maîtrise et la hauteur de son propos (d’une vigueur sans pesanteur). C’est un livre de résistance – de résistance à l’avachissement général des consciences et de dénonciation de certaines impostures inhérentes au catholicisme contemporain**. Il est de ces trésors qui alimentent les « ruisseaux d’eau vive » dont parle Edith de la Héronnière, qui continuent de faire couler l’invisible, le rare et le lointain, le précieux. Pour quelques-uns. A l’écart du flot de médiocrité dont nous abreuve la soi-disant « rentrée littéraire ». Bref, réjouissons-nous de pouvoir lire des livres inconciliables avec l’air du temps.

* Hélène Raveau est professeur de littérature au lycée.
** D’où dans le texte de délectables échanges entre un Président moins obtus qu’il n’y paraît et son Premier ministre absolument stupide, ou entre l’ »héroïne » et quelques frileux prélats ecclésiastiques.

« Tout fut détruit, rasé, excavé. On arracha des tombes ce quelque chose qui n’a plus de nom et qui, dans sa répulsive fermentation, était capable, surtout dans cette religion si proche de la chair dans tous ses états, de nourrir encore bien des mémoires. Ce fut peine perdue. De Port-Royal des Champs à Saint-Denis en France, soixante-quinze années rampèrent en rhizomes de sang sous la surface du siècle et, jaillissant du sol en 1793, sautèrent à la gorge du roi sacrilège et de toute sa descendance. Louis le Grand tomba de toute sa hauteur dans la fosse.

                                                                     *

Elles se tenaient debout, en état de ressuscitées, et en espérance de l’être un jour, comme les anges sont en la présence de Dieu, ayant les ailes éten­dues, prêts à aller où il Lui plaît.
Chaque jour de la semaine, à six heures et demie du soir, dans le creux du vallon, avec autour d’elles les collines et le ciel nuageux, elles se tenaient là.

Celle qui était à l’origine de cette stupéfiante obstination ne se distinguait des autres par aucun signe particulier, ni dans le vêtement, ni dans la coiffure, ni dans la place qu’elle occupait dans ce petit bataillon. Elle avait seulement les yeux très bleus. »
Hélène Raveau, Les choses d’en-haut, (préface de Gérard Ferreyrolles), Editions Salvator, 160 pages, 2015 (13,90€).

L’auteur s’est exprimé en avril 2015 sur RCF dans l’émission « Résistance philosophique et espérance chrétienne », présentée par Véronique Alzieu et Christophe Henning. Ci-dessous les interventions d’Hélène Raveau:
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Illustrations: Éditions Salvator et documents audios issus du site Internet http://www.rcf.fr de RCF (Radios Chrétiennes Francophones).

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Patrick Corneau