3402894-mdferli15Petit florilège de réflexions félines (nettement misanthropes, et pour cause…) extraites de Nous les chats… de Claude Habib, Éditions de Fallois, 2015.

« Il faut toujours fuir ce que l’homme a touché.

En résumé, voici l’affaire: les hommes chérissent dans le chat un petit homme très joli. Le chat tient à l’homme comme à sa propre mère, une mère invalide, fort enlaidie. De part et d’autre, la relation repose sur l’imposture et sur l’hallucination. Voilà ce qui m’est apparu, et que je savais déjà, mais j’anticipe.

Personne, absolument personne, même l’animal le plus abruti, ne peut se dispenser de craindre l’homme.
Bon, l’éléphant. Admettons. S’il n’est pas entravé.

Les hommes descendent des singes, et les singes sont de vilains animaux. Ils n’échappent à la laideur que par le mouvement. (…) Toute la grâce du singe est dans ses bonds. L’homme a perdu ce recours en quittant les branches des arbres. Il est donc uniment laid. Sa seule chance de regagner un peu de beauté, c’est de se spécialiser dans les arts du cirque – le trapèze ou la voltige, même le jonglage. Peu le font. C’est pourquoi les hommes sont des animaux tristes: la plupart ont renoncé au seul genre de beauté dont leur espèce est susceptible. Ils vivent assis, rassis, fâchés. On dirait qu’ils en veulent à la terre qu’ils déparent.

À vivre trop longtemps près des hommes, on se prend à les mépriser. On se croit invulnérable, c’est une erreur. Car s’ils sont ineptes par les organes, ils sont puissants par l’artifice. Et l’on se perd par arrogance, lorsqu’on ne voit en eux que des singes sans adresse.
(…) Peu de dons, beaucoup d’arts, voilà le lot de cette espèce. Ils compensent par des machines l’adresse à laquelle ils ont renoncé. Leur infirmité est immense. Leur malignité, à l’échelle.
Il est vrai qu’ils ne sentent rien. Hommes et femmes, ils sont sourds du nez. Cette infirmité les condamne à la surprise perpétuelle. Je me mets à leur place. C’est un sort terrible : ils ne peuvent pas manquer d’être étonnés par tout ce qu’ils voient.

(…) Et je m’emplissais de leurs viandes. Il m’en fallait encore et toujours. C’est un plaisir sans issue, je m’en rends compte. D’ailleurs je n’aimais pas l’état dans lequel elles me laissaient. Un état lourd. Aucune souris ne vous laisse ainsi, triste et plein. Ces nourritures humaines ont quelque chose de fade, de légumineux, qui pousse à dormir. A croire qu’ils tentent de changer les chats en porcs.

Dès que l’homme s’immisce dans une âme de chat, dès qu’il y fait valoir le caprice de ses choix, nous nous dégradons, et je ne m’exclus pas du compte. Nous devenons un peuple de voleurs et de mendiants, traînant autour de leurs poubelles, paressant sous les abribus. Les rapports essentiels sont faussés, l’espèce devient gueuse. Le peuple cesse d’être un. Ce n’est qu’un ramassis provisoire et douteux. Car le fort doute de sa valeur, le minable revendique un droit, la belle devient laide, et la laide, mystère plus effrayant, acquiert une beauté parfaite. »

Illustration: photographie de Cristina Buceatchi.

Laisser un commentaire

Patrick Corneau