hmorganlettrine2En ces temps de grisaille saisonnière, de morosité sociale et de désarroi circonstanciel, il est bon de revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire à Alexandre Le Grand et plus exactement à Alexandre Vialatte. Il est temps de se plonger dans son Bestiaire – magnifiquement illustré par le regretté Honoré tombé au champ d’honneur de la libre expression le 7 janvier 2015 – et d’y lire, enfin, quelque vérité sur ce curieux animal qu’est L’HOMME.
Face à la difficulté de la tâche – l’animal n’est pas facile à cerner – Vialatte s’y est repris à trois fois. Voici, dans l’ordre, ses portraits zoologiques.

Quand on rencontre l’homme on est tout de suite frappé par sa silhouettearton39 décidée: il porte un petit chapeau fendu par le milieu, il marche sur les pattes de derrière. Un litre sort parfois de sa poche, un croûton de pain, une saucisse de Toulouse roulée dans un papier journal; et d’autres fois (s’il est du sexe féminin) il apparaît dans quelque music-hall, au sommet d’un escalier d’or, enveloppé d’une gaze vaporeuse qui lui fait un halo laiteux, et vêtu de bijoux scintillants complétés de quelques plumes d’autruche. Mais que sa silhouette soit martiale, aven­tureuse ou ramassée, qu’elle ressemble à celle du bambou, du Danemark ou du pâté de sable, elle reste toujours singulière. Car il avance lentement sur les pattes de derrière. Aussi se demande-t-on d’où il vient. Généralement c’est d’une bouche de métro. Du moins en gros. Pour le profane. Mais en réalité il vient de la nuit des temps.
Il faut chercher l’homme d’aujourd’hui où il se trouve. A l’arrêt de l’autobus 27. Sous une pluie fine. En chapeau mou. Il revient de son triste travail au bout d’une journée mono­tone. Il ne « dispute » pas, il ne « juge » pas, il ne veut ouvrir aucun « dossier ». Il veut regagner aussi vite que possible sa maison grise dans sa pluvieuse banlieue. Il demande unique­ment deux choses: premièrement, de ne pas faire de guerre ; deuxièmement, une augmentation.
Qu’est-ce que l’homme? Ce n’est pas grand-chose. Ce n’est pas rien non plus. L’homme c’est de la prose; mais une prose qui a des remords; une prose rythmée, pleine de rimes léonines, qui se souvient du langage des dieux. Ce n’est pas l’alexandrin ni le livre de cuisine. C’est le comptable. Il n’est pas gai; les nouvelles sont plutôt miteuses: il y a la note du gaz et le gouffre de Pascal.
[« L’histoire du monde, de Jean Duché », Les Cham­pignons du détroit de Behring, © Julliard, 1988.]

Illustration: Éditions Arléa.

  1. catherine says:

    « Vous êtes mon lion, superbe et généreux » est-ce une rime léonine ?
    Et si ce n’est pas le cas, est-ce bien logique ?
    Catherine

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Patrick Corneau