En ces temps de grisaille saisonnière, de morosité sociale et de désarroi circonstanciel, il est bon de revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire à Alexandre Le Grand et plus exactement à Alexandre Vialatte. Il est temps de se plonger dans son Bestiaire – magnifiquement illustré par le regretté Honoré tombé au champ d’honneur de la libre expression le 7 janvier 2015 – et d’y lire, enfin, quelque vérité sur ce curieux animal qu’est L’HOMME.
Face à la difficulté de la tâche – l’animal n’est pas facile à cerner – Vialatte s’y est repris à trois fois. Voici, le troisième de ses portraits zoologiques.
L’Homme est vraiment zoologique. Il n y a qu’à voir ses cheveux jaunâtres, ses yeux fidèles, son poil frisé; il ressemble à un chien de berger. Ou alors à certains grands singes, au bouc syrien (de profil), au tigre du Bengale, au hibou, fréquemment au gypaète barbu (en vieillissant: ses joues se décharnent, on ne voit plus que son grand bec entre ses yeux perçants). Voilà, l’homme est zoologique: il naît, il meurt, il se reproduit; comme la baleine et le surmulot. C’est à peu près tout ce qu’il sait faire. Il se reproduit même trop: il n’y a plus moyen de trouver de place à La Coupole, qui est pourtant immense, et qui fut un lieu agréable; et historique.
C’est ce qui rend la lecture des romans fastidieuse. On sait d’avance tout ce qui va s’y passer. On ne pourra jamais y voir l’homme que naître, mourir ou se marier. Si ingénieuses que soient ses façons de faire ces trois choses, on sait d’avance qu’il n’en sortira pas.
L’homme serait un roseau pensant. Disons plutôt un roseau pensif… Ou même songeur… Disons un salsifis songeur. Car la pensée paraît tout de même plus dense que les produits de la cervelle humaine, et le roseau est plus racé que l’homme. Soyons sincères: l’homme est un champignon rêveur; un concombre qui a des visions; un salsifis qui souffre de marottes.
L’une d’entre elles est de sauver les hommes: par l’œuf, par l’oignon, par le nombril, l’ange Cyclamen ou la pleine lune, et parfois même par le druide du bois de Meudon. De toute façon, par un objet précis. Incroyable et précis.
[« Dernières nouvelles de l’être humain », L’éléphant est irréfutable, © Julliard, 1980 ; « Evadons-nous de la zoologie », Éloge du homard et autres insectes utiles, © Julliard, 1987.]
Illustration: Éditions Arléa.