Décidément on n’en a pas fini avec le roman de Michel Houellebecq Soumission et je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager un extrait de l’analyse de Marin de Viry (texte intégral) dans la dernière livraison de La Revue des Deux Mondes, février 2015:
« Toute l’angoisse distillée par ce roman, qui est en quelque sorte le pendant fictionnel du Suicide français de Zemmour, avec un amour de la catastrophe plus prononcé, provient de l’élection d’un président de la République islamiste, événement qui signe la fin de la civilisation française, si l’on considère que celle-ci s’étend au moins de Charlemagne (couronné empereur à Rome par le pape le jour de Noël 800, si je me souviens bien) à nos jours, et qu’elle a été façonnée par le christianisme, principe vivant qui a agi sur les relations entre les hommes, entre les hommes et les femmes, sur la loi et les institutions. Du moins jusqu’à François Hollande, qui a un rapport à peine poli et tout à fait décontracté avec la transcendance. Tous les présidents de la Ve République, à sa notable exception près, ont senti qu’il ne fallait pas plaisanter avec leur appartenance, fût-elle pleine de restriction mentale, à la religion catholique. Le catholicisme, c’est comme le paysage et les paysans: même affadi, même enlaidi, même l’ombre de lui-même, il a été là et il est encore là; et même quand nous nous en éloignons, nous nous sentons responsables de l’oublier. Le clocher nous accuse: c’est qu’il nous parle. On fréquente le catholicisme comme on rend visite à une grand-mère dans un état végétatif, mais cette visite est sacrée, et les mômes iront de force s’il le faut. Même si plus personne ne connaît la liturgie, le catéchisme et les Évangiles, chacun sait que Pâques est la promesse de la vie éternelle pour tous, et qu’à Noël, tout recommence. François Hollande aura marqué son règne par la disparition de notre horizon eschatologique collectif dans les égouts, et il est peut-être – c’est en tout cas l’hypothèse de ce roman – en phase avec les Français. Il a peut-être fait la synthèse, et considéré que le rapport de forces était en faveur de l’oubli. La particularité de François Hollande, c’est qu’il ne se contente pas d’exister aux côtés du catholicisme, de jouer le rôle bien répertorié du mécréant à la tête du royaume très catholique (le régent, Talleyrand, etc.), mais qu’il affiche son absence de commerce avec l’invisible comme si ceux qui pourraient le lui reprocher n’avaient plus d’importance, qu’il lui fallait avant tout lancer des œillades aux déchristianisés. Giscard, Chirac, Sarkozy allaient à la messe, Mitterrand ne cessait de convoquer des curés à l’Élysée, Hollande, non. Entre lui et l’hypothèse de l’immortalité de l’âme, il y a un programme spatial. Il est en cela très proche du narrateur de Soumission, qui a bien, comme tout le monde, ses interrogations sur les fins dernières, mais qui toujours retombe dans l’indifférence, dans une forme de neutralité de son existence (elle est sans lien avec un sens), qui procède d’une conception, déguisée en constatation navrée, selon laquelle la vie est ennuyeuse, frustrante, et qu’il n’y a que les distractions et les excitations qui valent la peine d’être vécues. La vie se traverse avec des excitants et des hallucinogènes, et la politique en fait partie. Existentialiste sans conscience, plombé dans cette vie naturellement grise et artificiellement rose, le héros de Houellebecq bricole une forme de soumission perverse au plus fort, de déni de dignité, d’abandon d’ambition. On peut lire ce roman comme le désir qu’a ce professeur de se débarrasser de Huysmans, c’est-à-dire d’annihiler la vie intérieure qu’il a observée chez l’auteur d’À rebours, et encore plus d’éliminer les tourments spirituels, qu’il considère comme une hystérie ridicule héritée d’un autre âge. Il y réussit d’ailleurs, il s’épanouit quand son destin est pris en charge par les nouvelles autorités, quand il a abdiqué toute prétention à opposer son sacré au sacré des autres. C’est un pion. L’homme sans vie intérieure est un pion. Ce que suggère Houellebecq, c’est que la France est composée de pions, prêts à entrer comme un seul homme, au nom du maintien des avantages de la civilisation matérielle, dans un monde qui n’a plus rien à voir avec celui qui les a précédés et a permis leur existence. La France: de la matière dominée par une métaphysique plus forte qu’elle, forcément plus forte qu’elle. »
Marin de Viry, « Présentation de l’adjudant-chef Poujard au narrateur de Soumission », La Revue des Deux Mondes, février 2015,
Illustration: photographie de Denis Rouvre.
C’est tout à fait ça.
Et je ne comprends pas bien la fureur des chroniqueurs du Monde ou de France Inter
devant ce livre.
N’empêche, qu’est-ce qu’il est moche ! Mais alors d’une force !