DSC0081600ferli4Voilà un livre admirable. Un livre qui, de ce fait, passera inaperçu, transparent pour le nombre, il sera peut-être aperçu de quelques-uns. Ce qu’il nous dit est « décevant » (guillemets hautement nécessaires ici), il « déçoit » l’humaine condition dans ce qu’elle a de naturel, de confiant et même d’un peu fanfaron dans sa radieuse ipséité.  Comme Horace Engdahl lecigarette-neant dit excellemment dans l’un de ses aphorismes: « La vérité est toujours, d’une manière ou d’une autre, une vérité sur notre imperfection. Sinon, elle devrait porter un autre nom. » Ce en quoi elle est éminemment vexatoire. Horace Engdahl prend donc un malin plaisir à dégonfler, démanteler notre narcissisme anthropologique avec son train d’illusions naïves sur notre souveraineté et propension au contrôle universel. Nous avons affaire à une sorte de Cioran au scepticisme tempéré par les hautes latitudes, un Cioran septentrional qui soufflerait un air glacé sur le marigot de l’humaine vanité (« beaucoup d’enragés imbus d’eux-mêmes »). Ce Suédois désenchanteur redonne une possible dignité et une chance humaine supérieure à la vulnérabilité. (Extraits)

Le point de départ de l’écrivain doit être celui du tenancier de bar: ne pas chercher à améliorer le genre humain.

Le style est ce qui exaspère les gens sans qu’ils puissent dire pourquoi.

Nous nous accrochons à nos préjugés de peur d’être dupés par les orateurs de talent.

Qu’est-ce qui peut pousser un individu à être quelqu’un d’imbuvable, comme Rousseau? Le désir de forcer votre entourage à s’occuper de vous, à parler de vous, à vous prendre en compte. Les aimables, les raisonnables, les justes, on les oublie à la minute où ils s’en vont. Au fond, se conduire de manière odieuse est la seule façon d’être toujours au centre.

Le pire outrage qu’un homme puisse faire à une femme, c’est d’être insignifiant.

(A l’apogée de la vie) Il montre les dents pour cacher sa faiblesse. Il se divertit pour cacher que plus rien ne le fait rire. Il se lève pour cacher qu’il n’a pas dormi. Il joue du piano pour cacher sa peur de jouer mal. Il écrit des articles sérieux pour cacher qu’il n’a rien à dire. Il fréquente des gens pour cacher son manque d’intérêt pour ses congénères. Il répond aux lettres pour cacher son agacement de les avoir reçues. Il lit des livres pour cacher sa consternation face à la prolixité des auteurs. Il donne continuellement de nouvelles preuves de sa compétence pour cacher qu’il n’a rien à faire à la place qu’il occupe. Il se maintient en forme pour cacher qu’il est usé jusqu’à la corde.
Au fond, il n’a besoin que d’un ciel bleu et d’un calepin.

Horace Engdahl, La cigarette et le néant, traduit du suédois par un atelier de traducteurs, sous la direction d’Elena Balzamo, janvier 2014, Serge Safran éditeur.

Illustration: « Skull (meditation room) », 1990, Niki de Saint Phalle.

  1. Cédric says:

    Excellent !

    Merci de me le faire découvrir ! 🙂

    J’ai cherché à en savoir un peu plus, je suis tombé sur cette vidéo :

    J’aime beaucoup ce qu’il dit à propos du Fragment. (et si je pouvais m’exprimer en suédois comme lui s’exprime en français, je suis preneur ! )

    Notamment : « Fragment : partie d’un tout absent  »

    Je suis tombé également (toujours sans me faire mal) sur un article de Rolland Jaccard qui lui aussi évoque Cioran.

    http://www.rolandjaccard.com/blog/?p=3932

    Dommage tout de même que sur son blog, tout comme dans un journal http://www.sergesafranediteur.fr/images/stories/cigarette_servicelitteraire02.jpg, il y ait une erreur dans le nom de l’auteur.

    « Service Littéraire, le Journal des Écrivains Fait Par Des Écrivains » j’ajouterai : « Qui Écrivent De Travers Les Noms De Leurs Confrères » 😉

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Patrick Corneau