J’ai lu par-ci par-là de grands mots à propos de Joseph, le dernier roman* de Marie-Hélène Lafon: des noms prestigieux, Flaubert, Félicité, etc. Les gens ne lisent pas, lisent trop vite, à la paresseuse, se laissant submerger par leurs souvenirs de lecture (ça ne mange pas de pain, comme on dit dans le monde de Joseph). L’attention, la patience manquent. M. H. Lafon est M. H. Lafon, elle a sa voix, elle joue sa musique, une partition bien à elle depuis déjà plusieurs livres. Une partition qui ne fait pas « terroir de France », non, son style est d’aujourd’hui mais subtilement teinté d’emprunts légèrement anachroniques, d’expressions, tournures enfuies dans l’espace et le temps profonds lesquels voilent son récit de la beauté des choses qui ne sont plus. Il y a de la fraîcheur – pas de la candeur car c’est une âme trop sensible – dans le regard de Joseph, l’ouvrier agricole. Et dans ce regard qui « pense des choses à l’abri de sa peau », la douce et implacable dénonciation de nos vies désormais « hors-sol », résultat de nos manquements, de nos oublis, de nos lâchetés. La terre n’est plus (on lui préfère désormais le mot « environnement », plus abstrait, plus citadin, moins impliquant), ni surtout cette précieuse, féconde et délicate harmonie que des générations de nos ancêtres avaient patiemment édifiée. Nous en sommes là. Lecture faite, le dernier mot du texte, « reposoir » résonne en nous comme une voix ancienne et familière, un baume qui viendrait se répandre sur le pauvre cœur des hommes.
Les livres noblement et toniquement agrestes de Marie-Hélène Lafon ont la gravité mesurée, la dignité calme d’une moraliste, et de toute évidence (encore faut-il avoir des yeux pour cela) rien de commun avec les pastiches ou les bluettes pittoresquement bucoliques que certains croient lire.
*Buchet-Chastel, août 2014.
Illustration: J’ai hésité à mettre une illustration pour un livre aussi poétique, seuls les grands arbres du dernier Soutine m’ont paru « à la hauteur ».