« Devant un parterre de femmes en robe du soir, un voyageur parle des enfants indiens vendus à leur naissance pour être amputés des bras et des jambes et, dès lors, déposés chaque matin près d’une sébile. Il décrit aussi les ruses du propriétaire pour qu’on ne lui vole pas le mendiant en même temps que la recette.
D’une voix désabusée, montrant un art consommé de la séduction, mais aussi la distance où il semble à jamais égaré, l’homme parle encore des princes du désert achetant de jeunes enfants pour être ficelés sur leurs chameaux de course. Les chameliers n’assurent-ils pas qu’en excitant la monture, les cris de terreur du cavalier font presque autant pour la victoire que les qualités de l’animal?
De temps à autre, l’homme s’interrompt pour laisser officier un serveur en veste blanche. Une femme se plaint de l’odeur d’un cigare. Il est minuit passé et quelques invités prennent discrètement congé. »
Marcel Cohen, Le grand paon-de-nuit, Gallimard, 2014.
Peut-être penserez-vous que ce n’est que de la littérature… Il se pourrait que non. Et même si cela l’était, le mentir-vrai de l’écrivain vaudra plus que tous les témoignages avérés, certifiés sur papier-timbré.
Illustration: photographie extraite du film Les lions sont lâchés (1960) d’Henri Verneuil.