ferli15Dans l’introduction à Aphorismes sous la lune et autres pensées sauvages Sylvain Tesson fait remarquer que l’aphorisme en France a mauvaise presse:
« Ambrose Bierce décrit, tombant d’un esprit abyssal, ‘la petite crotte d’un aphorisme’ (Dictionnaire du diable). Charron dans sa Sagesse le trouve sec et cru. Les esprits forts le suspectent de constituer l’antichambre du jeu de mots (‘cette fiente de l’esprit qui vole’ selon Hugo). On le juge prétentieux parce que définitif. On le confond avec la maxime ou le précepte pire, la sentence! et en France, vieux pays moral, on se méfie des moralisateurs. On se souvient que Nietzsche, à coups de marteau, a usé et abusé d’aphorismes, parfois totalement obscurs et se contredisant majestueusement les uns les autres. Bref, on le tient pour le genre des vieux messieurs fâchés. »9782266233835

Par ailleurs, il a beaucoup servi la cause de la mélancolie :
« C’est peut-être une autre raison de la méfiance qu’il suscite. La forme courte, par un processus naturel, invite au pessimisme. La maigreur est toujours belle mais immanquablement triste. Écrire à la pointe sèche, dans le style dépouillé, au plus près de l’os, en taillant dans la chair, conduit à tenir des propos désabusés. A ton déjà vu des nouvellistes joyeux? Imagine-t-on Edgar Poe riant, Maupassant guilleret ou Baudelaire optimiste? Pour exprimer le bonheur il faut s’étaler. Pour célébrer la vie, il faut de l’élan, du souille, de la foi et quelques centaines de pages où baver sa joie. Les forçats de la forme courte, eux, ricanent, hoquettent, écrivent sec et livrent leur philosophie en quelques phrases étincelantes et cruelles, c’est-à-dire désespérées. L’aphorisme est la confession des âmes en peine. Sa concision s’aiguise sur la meule du chagrin. Écoutons l’accablant constat d’Ylipe: ‘Il est aussi déraisonnable de croire à la vie éternelle que de compter sur la journée du lendemain’ ou la pensée d’Elsa Triolet: ‘Pour être prophétique, il suffit d’être pessimiste’, ou encore, la profession de foi d’Albert Caraco: ‘Leur amour de la vie me rappelle l’érection de l’homme que l’on pend’. »
Sylvain Tesson, Aphorismes sous la lune et autres pensées sauvages, Presse Pocket, 2013.

Illustration: Éditions Pocket.

  1. Cédric says:

    Hier, j’ai lu cette excellente définition du mot ‘admiration’ extraite du Dictionnaire du diable d’Ambrose Bierce. J’ai envie de la partager ici :

    « Admiration : Façon polie de reconnaître une ressemblance entre autrui et soi-même. »

    J’ai enfin compris pourquoi je n’admire personne : je n’aime pas me jeter des fleurs. 😉

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Patrick Corneau