Commentant notre humain désir d’un éveil qui rejoindrait la transparence d’une perception pure du monde (« voir sans voiles le monde enfin tel qu’il est, sans les filtres de la mémoire, sans les cribles du savoir, comme parvenir à une vision non hypothéquée, non grevée par aucun moi »), Catherine Millot* fait référence à Werner Herzog, qui « dans son film sur Kaspar Hauser, parvient, on ne sait comment, à nous restituer une telle vision, en nous donnant à voir le monde à travers les yeux de l’enfant sauvage extrait de son cachot et plongé d’un coup dans la lumière éblouissante de la campagne. Herzog nous montre ce que serait la vue d’un champ de blé agité par le vent, si nous n’avions jamais vu de champ de blé ni quoi que ce soit d’autre. Voir le monde avec l’appareil sensoriel d’un adulte et l’esprit vierge d’un nouveau-né, ce serait comme accéder enfin au réel à l’état pur, c’est-à-dire dépourvu de sens, ce serait être enfin délivré de la fatigue du sens. »

C’est exactement ce que je ressentais avant-hier en sortant de A la merveille le film si controversé de Terence Malick, dont je ne sais toujours pas s’il est « nul à gerber » (Philippe Rouyer de Positif dans Le cercle sur Canal+) où un chef-d’œuvre façon OVNI (Objet Visuel Non Identifié) dont la teneur échappe à nos yeux fatigués d’images hollywoodiennement correctes… J’aurais tendance à pencher – damn it!, vers cette dernière position en me demandant si Malick de nous délivre pas de la fatigue d’un sens, disons quelque peu trivial, pour nous contraindre à la plus cruciale et difficile fatigue d’un sens spirituellement** plus exigeant.

*O Solitude, Ed. Gallimard, coll. L’infini/Folio 5541.
** Il est vrai que le cinéma de Malick est plein de religion comme un baba imbibé de rhum. Une clé, peut-être, dans la Revue Des Deux Mondes de ce mois: « Le puritanisme. Enquête sur le bien et le mal ».

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Illustration: Bande annonce de À la merveille (To the Wonder) de Terence Malick.

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Patrick Corneau