Simuler des complicités qu’on n’éprouve pas est encore la meilleure recette pour éviter les embêtements. Pour ce qui est de donner le change et instaurer un statu quo de bon aloi, Alban n’est pas plus maladroit qu’un autre. Comme les autres ne s’intéressent pas plus à lui que lui ne s’intéresse à eux, le tour est vite joué…
Ce qu’on ne sait pas (ou ne dit pas) ne nuit pas.
– Hein ? disait l’homme.
– Oui, disait Alban.
– Vous verrez, disait l’homme.
– Sûrement, disait Alban.
– Je vais vous dire une chose, disait l’homme.
– Oui, disait Alban.
– Parce que, hein ? disait l’homme.
– Certes, disait Alban.
– D’ailleurs, disait l’homme.
– En effet, disait Alban
– Faut pas croire, disait l’homme.
– Non, disait Alban.
– Ça n’ira pas toujours, disait l’homme.
– Non, disait Alban.
– Mais à votre idée, disait l’homme.
– Ma foi, disait Alban.
– Il faut voir, disait l’homme.
– Il faut, disait Alban.
– Ça ne mange pas de pain, disait l’homme.
– Sans doute, disait Alban.
– C’est tout vu, disait l’homme.
– Tout, disait Alban.
– Alors bon voilà, disait l’homme.
– Oui c’est comme ça, disait Alban.
Voilà donc une conversation extrêmement reposante, où les mondes propres de chacun n’ont pas bougé d’un iota, l’auto-estime des interlocuteurs s’en est même trouvée plutôt confortée, le monde réassuré dans la stricte monotonie de son immuabilité, etc. C’est un jeu « gagnant-gagnant » et pourtant, il ne s’est rigoureusement rien passé… Quel mystère! Quel miracle!
Illustration: dessin de Micael.