Merveilleux Walser!

« (…) Ah, insoumission, que tu es répandue. Incroyable, la délectation qu’il doit y avoir à mal se conduire. Je sais bien que c’est en vain que je m’évertue ici à présenter sous le jour le plus éclatant les bienfaits et l’agrément d’une docilité douce et uni­verselle. Mais tout cela n’est rien à côté des vilains mi­nets, comme on appelle les chats. Les minets de ce genre sont généralement taciturnes, hypocrites, et que sais-je. Se suffisant entièrement à eux-mêmes, fer­més sur eux-mêmes, roulés en boule à la façon des chats, installés et parfaitement équilibrés, ils mènent l’existence la plus extrêmement obstinée, ne pensent du matin au soir à rien d’autre qu’à eux-mêmes, ont un sens du confort indicible, se secouent quand ils en ont envie, font ici ou là le gros dos pour le pur plaisir de s’étirer, etc. Leur seule présence semble être quelque chose de mauvais par essence. Un minet se moque absolument de tout, il ne manifeste pas le plus mince, le plus petit, le plus léger sens du devoir. Le bien commun, il s’en fiche. S’il peut seulement se laver, se nettoyer, jusqu’à étinceler de bons soins, s’il peut sortir sa petite langue et se croire distingué, c’est l’essentiel. Il n’y a aucun flegme qui rappelle, même de loin, celui du minet. Mais je veux en rester là pour ce thème tout de même assez peu réjouissant et (…) »
Robert Walser, « Que le monde dans lequel nous vivons soit méchant », Le Territoire du crayon, Microgrammes, Editions Zoé, 2003.

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

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Patrick Corneau