La vie numérique et ses répercussions dans les comportements du consommateur culturel ne se fait pas sans frictions avec les institutions muséales. Le musée d’Orsay, par exemple, interdit de prendre des photos dans ses salles depuis 2010. J’ai toujours été surpris et même un peu choqué de la véhémence, voire de la brutalité avec laquelle les gardiens du musée empêchent toute velléité de vol photographique. Je reçois un début d’explication dans La Revue Des Deux Mondes de Janvier. Le président d’Orsay, Guy Cogeval, justifie la mesure en reprochant aux outils numériques d’empêcher toute contemplation directe des œuvres: « Les visiteurs ne regardaient plus… et empêchaient les autres de voir. Je me suis aperçu de cette barbarie qui commençait à surgir, lors de mes dernières années d’enseignement à l’École du Louvre. J’avais la clé qui permettait d’entrer directement de l’école dans les salles du Louvre. On passait alors de l’amphithéâtre au musée avec l’ensemble de mes élèves. On se retrouvait dans les salles rouges de la peinture de David et Delacroix. Et la dernière année, certains m’ont dit: ‘Mais nous, on a un ordinateur et les images qu’on voit sur notre portable sont plus belles, plus flatteuses. On peut agrandir un détail ad libitum.’ Je me suis dit: ‘Mon dieu, on est en train d’entrer dans une époque de barbarie.' »

Il est vrai que dans la nouvelle « économie de l’attention », on a tendance à se concentrer davantage sur la captation numérique de l’œuvre que sur sa nature profonde. L’image de touristes à l’assaut de la Joconde avec leurs téléphones portables résume assez bien une pratique aujourd’hui répandue: photographier, engranger, accumuler les images. Les grands chefs cuisiniers ont le même souci: beaucoup de clients passent autant de temps à prendre les plats en photo qu’à les déguster. Mais est-ce suffisant pour taxer ce qui est devenu un réflexe, un geste mimétique d’une banalité confondante de « barbarie »? Peut-être le Président a-t-il ces mots excessifs parce que la visite d’un musée n’est plus une grand-messe pour « happy few » mais relève désormais d’un ludique museotainment pour tous (la récente exposition « Bohèmes » au Grand-Palais avec sa scénographie d’opérette en est un bel exemple)?

Illustration: photographie ©Lelorgnonmelancolique.

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Patrick Corneau