Il y a des livres qui ont toute vocation à devenir « cultes », c’est le cas de cette étrange confession qu’est Toxiques: Quand les livres font mal. Livre épuisé, quasi introuvable (même chez les bouquinistes).
Lorsque Laurent Jouannaud publiait, en 2003, à 45 ans passés, son premier livre, il était inconnu, on savait peu de choses sur lui, seulement qu’il était professeur dans un lycée en Allemagne. Lecteur gravement intoxiqué, les livres l’ont constitué, et il sait quel refus, quelle crainte de la vie, peut envelopper la lecture, même et surtout quand elle est abordée comme une initiation à la vie. A vivre en immersion dans les chefs-d’œuvre, on s’aperçoit que le bain lustral est certes un révélateur de soi, mais qu’il entraîne la même dépendance qu’un puissant toxique. Au fil du rasoir d’un style superbement balancé Laurent Jouannaud expose les suites de désolations que l’adolescent qu’il fut, reçu de Baudelaire, Céline, Rimbaud, Yourcenar, Cohen, Proust, Beckett. Alors que la vie est un poison auquel la plupart des adolescents cherchent remède dans les livres, pour Laurent Jouannaud, « les toxiques ne [l’]ont pas trompé puisqu’ils doivent leur poison à la venimosité de l’existence ».
Ne serait-ce que pour son introduction où il évoque son adolescence hyper-normale en des termes presque cioranesques par la distance désabusée et l’humour mélancolique, vous devez lire ce livre, quitte à le voler… Toxiques fait partie de ces exceptions littéraires que le flot de la renommée ne viendra jamais désensabler de l’oubli. Faut-il s’en réjouir?

[Grand connaisseur de Kafka, Laurent Jouannaud vient de publier Kafka suite un roman étonnant dans lequel il imagine que Franz Kafka n’est pas mort en 1924, qu’il s’est remis de sa maladie pulmonaire et a continué à vivre jusqu’en 1946…]

Illustration: Presses Universitaires de France.

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Patrick Corneau