« Le mineur laisse l’oreille en exil » faisait remarquer Jean Deprun (La Philosophie de l’Inquiétude en France au XVIIIe Siècle, Editions Vrin). Selon Etienne de Lacépède (La poétique de la musique, 1785), « L’oreille, n’est vérita­blement contente lorsqu’on lui présente un morceau de musique, que lorsqu’on lui fait entendre des accords parfaits semblables à ceux que la nature produit: tout autre accord n’a été imaginé et n’est employé que pour faire ressortir ces accords naturels et primitifs. L’âme s’inquiète en entendant tous les autres; ou du moins, si en jouissant des accords factices, elle goûte quelquefois un grand plaisir, ce n’est que parce qu’elle sent qu’elle va bientôt revenir sur les accords purs, parfaits et naturels, que le sujet de son inquiétude va bientôt disparaître, et qu’on ne lui a enlevé ce qu’elle aime que pour le lui rendre bientôt, que pour le lui faire trouver plus beau et plus touchant, que pour la promener pendant quelques instants de surprise en surprise. »
Si cette consolation lui est refusée et que la phrase s’attarde dans le mineur, l’âme « ne cesse de se tour­menter, et n’a d’autre jouissance que celle qu’on peut trouver dans des peines très légères, [d’autre plaisir] que celui qu’on peut trouver dans une douce mé­lancolie. »
Appuyé sur la série des harmoniques naturels, le mode majeur est au contraire « le seul dans lequel on puisse entendre l’accord parfait, dicté par la nature. L’accord le plus parfait que le mode mineur puisse présenter n’est, à cause de la nature de sa gamme, qu’un accord un peu altéré: la mélodie et l’harmonie ne peuvent dire dans ce mode qu’une source de peine secrète, l’oreille ne peut jamais y trouver de repos absolu et véritable; l’âme doit se dire un peu inquiète en l’entendant; elle doit toujours désirer quelque chose, tou­jours se livrer à la mélancolie au lieu de jouir d’un plaisir pur. Le mode mineur doit donc toujours inspirer et peindre la tristesse, toujours jeter une espèce de crêpe sur l’objet qu’on veut représenter. »
Lacépède n’en veut pour preuve que la « nature des airs que les ‘Nègres’ chantent pour charmer leurs tra­vaux et leurs malheurs. »

Aux yeux de Wittgenstein, c’était Schumann, dans l’avant-dernière pièce des Davidsbündlertänze op.6, intitulée Wie aus der Ferne (Stück 17-18), qui était parvenu à exprimer de la manière la plus exacte “le sentiment du révolu”.

Illustration: François-André Vincent, « La Mélancolie »/Maurizio Pollini, Schumann, Davidsbündlertänze, opus 6.

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Patrick Corneau