L’histoire de notre civilisation se confond avec celle d’un détachement progressif du travail millénaire, avec une dématérialisation lente des supports, avec une désacralisation et une mobilité croissante, avec la promotion et la circulation accélérée des signes selon une loi médiologique qui veut que les « graves » chutent et que le léger, le maniable, le facile à fabriquer ou à utiliser s’étendent. Nous sommes entrés dans le pays magique où less is more. Il faut reconnaître là une « mégatendance » historique au moindre effort dans laquelle la littérature et ses productions, au-delà des questions de refus ou d’approbation, a partie prenante et agissante. Ainsi nous avons eu les articles condensés du Reader’s Digest, puis la littérature condensée, le coulis essentiel en résumés, en fiches, en pitch, le pavé réécrit pour tablettes (Umberto Eco), il manquait le synthétique adapté au langage du lecteur pour faciliter l’accès. Ceci est fait. Peu de temps après la rentrée des classes, un nouveau site a surgi qui, sous le nom Les boloss des Belles-Lettres, se propose d’adapter dans une langue plus praticable par nos jeunes, les grands classiques de la littérature afin de les rendre abordables aux apprenants et de faciliter le travail de leurs professeurs. Il faut saluer et louer cette entreprise de véritable salut public que le Ministère de l’éducation nationale ne manquera pas d’approuver et même de recommander. Nous avons choisi La Recherche du temps perdu de Marcel Proust. Certes nous avions le raccourci de Louis-Ferdinand Céline: « 3000 pages pour nous faire comprendre que Tutur encule Tatave », mais ça manquait un peu de moelle… Bien sûr, il s’agit ici d’un « extrait de l’extrait » :

« en gros c’est comême l’histoire d’un ouin-ouin qui fait rien qu’à se mitonner tout seul comme un pauvre crevard dans son coin qui se respecte pas. dit comme ça c’est pas sexe mais tu veux quoi putain un mytho ou la vérité moi je dis si t’es assez grand pour fixer un pot ninja seul-tout t’es assez grand pour qu’on te dise la vérité bim bam boum alors revenons à nos salade tomate oignon. ouin-ouin il est tout pourri de l’intérieur tendance je je suis si fragile je suis une catin qu’on me tienne la main représente mylène. résultat il dort jamais il a les yeux total foncedé comme s’il méfu des splifs gros comme ma teub et comme il a plus de piles dans sa gameboy color il est trop gâché il se rappelle des ptits délires qu’il a eus quand il était haut comme trois couilles à genoux là où il a zoné là il a créché les potos de son crew les ptites meufs qu’il a pécho même si bon de ce côté là c’est plutôt 40 ans toujours puceau que american pine mdr et résultat ouin-ouin en deux deux il commence à raconter sa ptite vie.

déjà ouin-ouin il fait une fixette sur sa daronne c’est clair quand elle le kisse pas avant qu’il écrase il se met à chialer il casse tout façon opération dragon bruce lee les flammes de l’enfer qui balance des droites dans sa chambre alors du coup sa daronne se radine viteuf elle lui lit les 3 petits haloufs et puis elle le kisse pour qu’il ferme sa gueule de rageux petit-joibour. et puis il dit quand j’étais un ptit baby je me couchais de bonne heure pasque bon y avait école mdr (ah oui j’ai oublié de te dire que ouin-ouin c’est le roi des bolos de la 4e C il fait trop tièpe genre il répond bien et tout il fait sa bouffeuse de moule avec les profs et moi moi moi monsieur j’ai fait ma rédac moi moi j’ai la réponse madame eh madame momo il m’a péta ouin-ouin je chiale ma race mais je suis pas cissra) tu trouves que c’est galère et tu sais pas où c’est que la phrase elle commence et où c’est qu’elle s’arrête ? y’a pas assez d’images fdp ? wallah c’est que le début chef t’en as encore pour 2100 pages comme ça de délires de ouin-ouin la chialouze. 

un jour ouin-ouin découvre qu’il a un super coup spécial genre salut c’est Choune-Li la Noiche dans ta verveine-menthe. en fait quand il mange des pomme pote à l’envers ou sous l’eau avec du pisse-mémé (verveine-menthe, citron, camomille, nuit calme, digestion kebab chef) le ptit ouin-ouin ça le rend zehef de la mémoire il devient total faya tout lui revient putain c’est une machine de guerre on dirait terminator !!! alors la première fois ça lui fait chelou dans le redingote il se dit non mais ho ça va oui c’est quoi ce bordel on peut plus s’envoyer des pomme pote sous l’eau peinard sérieux !! après il comprend il dit ah ok c’est bon désolé j’ai compris ça va m’emmerde pas avec tes souvenirs je peux finir ma pomme pote merde ? et c’est là que sa p’tite mission perso mystique commence le graal la quête de sens le kebab parfait chef c’est la mémoire en galère dans ton banania c’est le début d’à la recherche du temps perdu. »

Dialogue dans une salle des professeurs:
–      Ça veut dire quoi un « walouf »?
–      Disons que c’est un « nul », cher collègue.
–      Et un « boloss »?
–      Bah un « boloss », c’est un boulet, un paumé, un étron, un gars qui capte rien, un brave con… Mais certains soutiennent que le mot est la contraction de bourgeois et lopette, le « boloss » serait un bouffon qu’on peut rouler, un pigeon…
–      Ah… cool! Va falloir que je demande un stage d’immersion dans le neuf-trois.
–      lol!

Illustration: Claire Bretécher, Agrippine.

  1. Cédric says:

    Wesh ma gueule, j’ai zieuté ça, en vrai le keum comment il s’est trop tapé un délire, du grand n’importenawak. Mais bon ça m’a fait gol-ri un peu quand même.

    Ceci dit, à mon avis, ceux qu’en ont rien à battre de lire, liront pas cette dinguerie non plus. L’auteur y s’est fait un kiff, ça va pas plus loin qu’ça.

    Et sinon, bien ou quoi ?

    A+ gros !

    Pour ceux qui sont du-per et qu’on pas tout capté : http://www.dico-des-mots.com/

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Patrick Corneau