« Il fait beau, allons au cimetière » c’était, je crois, l’invite de sa grand-mère au jeune Emmanuel Berl (né nostalgique comme d’autres gauchers), qui y voyait le signe d’envoi d’une vie comme menée à l’envers de la vie, le choix d’une génération de vivre à l’ombre des morts.
J’ai toujours pensé que c’est depuis la mort et grâce à la mort que l’on découvre la splendeur de la vie. C’est à partir de la mort que l’on se souvient des trésors que contient la vie, avec tous ses  malheurs vivants et ses jouissances. Aussi ne vois-je rien de morbide à arpenter les 15 kilomètres d’avenues et allées du cimetière du Père Lachaise, à goûter le charme indéniable de ce « jardin pour les morts » avec ses 5 300 arbres (érables, sycomores, frênes, hêtres, magnolias, marronniers, noyers d’Amérique, platanes, pruniers, robiniers, sophoras et thuyas) ombrageant quelques 69 000 tombes (soit 1 million de morts recensés dont de nombreuses célébrités), où rien ne rappelle les idées de délaissement et de solitude et qui n’a pas son équivalent dans le monde (2 millions de visiteurs par an).

Quelques curiosités au fil de mes promenades… (cliquer sur l’image pour une meilleure lisibilité)
La tombe-chaise de Mireille Albrecht, fille de la grande résistante Berty Albrecht, jeune résistante elle-même (un ami artiste, Anthony Russell, lui a conçu une chaise en déséquilibre avec l’assise aux symboles d’Auroville. L’ensemble est censé rappeler la vie de Mireille « toujours en équilibre précaire, mais avec une forte assise spirituelle et une structure solide »).

Antoine-Augustin Parmentier n’aurait pas mis une pomme de terre dans nos assiettes, toute la face de la terre aurait changé (pas de steak purée le mercredi, pas de hachis, pas de Mac Donald’s)! Comme ces mains anonymes, l’usage est de déposer en guise d’hommage une pomme de terre sur le rebord de la tombe de l’illustre agronome et de continuer sa visite.

Le célébrissime tombeau d’Oscar Wilde assailli par les passions – vengeresses ou amoureuses – de ceux que le grand décadent irlandais continue d’obséder. Le monument, sculpture controversée de Jacob Epstein (les parties génitales de l’ange
furent recouvertes de plâtre avant d’être dévoilées, puis vandalisées vers 1960, par deux vieilles filles, dit-on, et servent de « presse-papier » à l’actuel administrateur du cimetière), un immense ange en vol d’inspiration assyrienne, nettoyé pour la énième fois de ses nombreux graffitis et marques de baisers au rouge à lèvres, est entouré d’une vitre protectrice sur laquelle la « wildophilie » se déchaîne désormais.

Si, si vous avez bien lu… Tombe de Delphine Palatsi, alias SEX TOY, DJ ayant animé les nuits parisiennes à la fin des années 1990 (au Rex, au Batofar, au Bataclan) et devenue le modèle d’une génération de filles DJ. Morte d’un arrêt cardiaque, à l’âge de 33 ans.

Une tombe pour :
– Le journal?
– Les journalistes?
– L’HUMANITÉ?
[carré des tombes du Parti Communiste Français]

Tombe de Gertrude STEIN (côté face: Gertrude/visible de l’allée – côté pile: Alice TOKLAS/invisible car au dos de la tombe…).

Décor funéraire pour le moins étrange…

« Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine où commençaient à briller les lumières. Ses yeux s’attachèrent presque avidement entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des In­valides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu péné­trer. Il lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses: ‘A nous deux maintenant!' », Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1834-1835

Une passante…

Le témoignage d’une connaisseuse.

Il fait beau, allons au cimetière d’Emmanuel Berl, Gallimard, 1976. Nouvelle édition en 2003, collection Témoins. 210 pages.

Illustrations: photographies ©Lelorgnonmélancolique.

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Patrick Corneau