Avec un visage qui « n’exprimait rien que la satisfaction de soi-même », un orgueil foncier, le personnage de Monsieur Homais dans Madame Bovary de Flaubert en impose par son discours ferme et assuré de scientiste convaincu constamment émaillé de termes techniques destinés à impressionner; il s’exprime avec emphase et truffe ses discours de lieux communs (il n’oublie pas non plus de se mettre en valeur). Au-delà du personnage un peu grotesque et contradictoire, s’élabore au fil du roman une autre personnalité beaucoup plus inquiétante. Dès le début de l’intrigue on découvre un homme médisant qui s’acharne sur les notabilités qui pourraient lui porter ombrage, surtout lorsqu’ils sont absents. En revanche, en présence des intéressés, il se montre plutôt cauteleux, au pire un peu venimeux. Obséquieux devant plus fort que lui, il n’hésite pas en revanche à écraser les faibles. Ses basses manœuvres sont camouflées sous les grands principes, « l’amour du progrès et la haine des prêtres ». Ces attaques insidieuses, ces intrigues lui permettront d’asseoir son statut social de bourgeois, puis de notable campagnard.
Homais est un des visages du pessimisme fondamental de Flaubert. Le roman se termine sur la vision grimaçante de la sottise humaine, de l’arrivisme, de la médiocrité satisfaite qui étouffent toute velléité d’évasion ou tout idéal.

Voici venir le temps de la « normalitude » et une question perfide ET anthropologique me démange: quand, comment passe-t-on de l’homme « normal », façon Hollande à l’homme « médiocre », façon Homais/Flaubert (et/ou inversement)?

Illustration: Monsieur Homais, gravure d’époque.

  1. Cher Lorgnon,

    Je lis à l’instant votre billet et je m’étonne que vous fassiez un rapprochement entre Hollande et Homais.

    Toute considération politique à part, je ne vois pas Hollande, comme Homais, se lancer dans des élucubrations scientistes et sottement voltairiennes pour épater les provinces. Quand Hollande a sorti le qualificatif de « normal » pour se le destiner, ce n’était ni venimeux ni bête, mais plutôt stratégique ou tactique. Normal, il se distinguait ainsi et de Sarkozy et de Strauss-Khan. Modestie feinte et plutôt habile. Personne ne croit à cette normalité, mais le mot a fait mouche. « Bling-bling », « gauche caviar », que sais-je, encore des termes qui eurent leur efficacité pour dénigrer et brocarder l’adversaire selon que l’on était de gauche ou de droite.

    À mes yeux, l’avatar contemporain de Homais est Claude Allègre qui, tel le personnage pénible de Flaubert, fourre dans le même sac des superstitions les croyances irrationnelles les plus sottes et les doutes du meilleur aloi à l’égard des avancées techno-scientifiques. Même scientisme, même arrogance, même abaissement devant le pouvoir — rappelez-vous ses génuflexions répétées et misérablement infructueuses devant l’ancien président.

    Finalement, il me semble que le terme de « normal » — si proche, à l’oreille, du terme de « moral » — n’est que la traduction, et, peut-être, la récupération à des fins électorales, de la notion orwellienne de « common decency » reprise par des philosophes actuels.

    D’un écrivain, l’autre.

    Je garde ma préférence pour Flaubert.

    À vous,

    Frédéric Schiffter

    1. Cher Frédéric Schiffter,
      Globalement d’accord avec vous, disons que mon billet est l’expression d’une inquiétude concernant une possible porosité, contamination entre le « normal » et le « médiocre ». J’espère que la scène politique actuelle me donnera tort, mais trop de signes, de gestes ou de paroles équivoques m’en font douter…
      Bien à vous,
      P. C.

  2. Axel says:

    Dans la rubrique ‘du normal au pathologique’, il y a aussi le cas édifiant de ceux que l’on affuble d’ordinaire du qualificatif : Grands hommes. Dans les faits, le plus souvent des médiocres ayant rencontrés leur époque…

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Patrick Corneau