Puisque le Festival de Cannes est dans toutes les bouches médiatiques, il est temps de dire du mal du 7ème art. Ce que fait Christophe Donner avec une éloquente mauvaise foi, laquelle permet (parfois) de débusquer les vérités cachées sous les clichés bien-pensants…
« (…) C’est pour dire du mal du cinéma que je me suis mis à écrire. Et chemin faisant, ça m’a bien plu, la littérature : c’est l’art qui les contient tous, je me disais. Et aujourd’hui, alors que s’ouvre le 65e Festival de Cannes, je peux dire que si le cinéma est un art, c’est celui qui les dévore tous, les réduit, les dénature. A commencer par la musique, qui n’est qu’un appui sentimental pour les personnages et les situations, une béquille, une chaise roulante pour transporter des images vers une émotion qu’elles sont incapables de produire par elles-mêmes.
De l’art pictural, le cinéma ne retient que l’efficacité des chromos publicitaires, l’éclairage satisfaisant toutes les paresses de l’œil. Quant aux belles lettres dont on se sert encore pour écrire des livres, le cinéma en fait des dialogues qu’il visse comme des tire-fond aux traverses du grand chemin sur lequel le scénario doit avancer, au mépris de l’histoire et de l’esthétique de l’auteur.
LE COMBLE, C’EST QUE TOUS CES OUTRAGES donnent parfois des chefs-d’œuvre. Mais très rarement, et surtout pas lorsque, croyant sans doute rendre hommage aux muses qu’il digère, le cinéma se lance à « mettre en scène » des artistes ; Picasso dans le dernier Woody Allen, Marilyn Monroe dans le Simon Curtis, Truman Capote dans le Bennett Miller, sans parler de Dumas dans le film de Safy Nebbou, car dans ce jeu de massacre auquel le cinéma se livre à l’égard des arts, c’est la littérature qui est la plus maltraitée. L’écrivain y est toujours un être en souffrance, qui n’y arrive pas, mais qui finit par publier un livre, à succès, qui se retrouve en vitrine de la librairie devant laquelle passe par hasard la personne qui a inspiré le livre, et alors cette personne entre dans cette librairie où l’auteur est justement en train de dédicacer son roman. Ça n’arrive que dans les films, heureusement, c’est tellement bête.
Dans son incommensurable orgueil, le cinéma veut se montrer tel qu’il est, et invente pour cela le personnage du cinéaste. Mais Buster Keaton, dans Le Cameraman, le place sur des rails burlesques dont il n’arrivera plus à sortir. C’est en dehors de leurs films que les cinéastes accèdent au rang de personnages, la célébrité leur tenant lieu d’esprit et la chaise de corps. Il leur reste à écrire leurs Mémoires, on va enfin savoir ce qu’est un cinéaste. Las ! Le livre est le recueil de toutes leurs petites combines, illusions visuelles et traficotages sonores, un grimoire dont on ne connaît jamais l’auteur. »
Christophe Donner, « La personne du cinéaste », M le magazine du Monde du 18.05.2012.
Illustration: Anonyme, la façade du Gaumont Palace, place de Clichy (1911), Collection Roger-Viollet.