« On explique généralement la place démesurée que les professeurs occupent aujourd’hui dans nos lettres, par la nécessité où se trouvent les écrivains de gagner leur vie: l’état pédagogique serait le seul qui leur permît de combiner cette nécessité avec les loisirs indispensables à la création. Cette thèse présente sans doute une part de vérité. Il reste cependant qu’il était aussi difficile sinon plus difficile jadis qu’aujourd’hui de tirer des œuvres littéraires un profit substantiel. Le phénomène auquel nous assistons a pour le psychologue des racines plus profondes. Il s’explique à ses yeux par la nature même de la littérature contemporaine et le type d’hommes qu’elle postule. Le métier de pédagogue suppose, en effet, des instincts qui sont à l’opposé de ceux que l’on retrouve chez les hommes les plus virils. Le professeur est un doux, généralement un timide (il est remarquable que la timidité soit aujourd’hui considérée comme une vertu et qu’elle n’empêche pas, bien contraire, les réussites les plus éclatantes; de combien d’hommes ‘arrivés’ ne dit-on pas: ‘C’est un timide!’; c’est un signe des temps, un symptôme caractéristique de la régression des instincts.) Sans doute est-il souvent autoritaire. Mais ce n’est là, pour l’analyste, qu’un phénomène de compensation sadique. En vérité, c’est un humble. Ne doit-il pas, en s’engageant dans sa carrière, se dire qu’il lui faudra jusqu’à l’âge de soixante ans surveiller de méchants garçons, et leur octroyer pensums et retenues? Cela n’est respectable que si l’on est animé d’une véritable vocation. Hélas! Les pédagogues par vocation sont rares parmi nos professeurs. La plupart d’entre eux n’ont point cet amour de l’enfant qui permet de s’appliquer sans déchoir aux tâches les plus modestes. Le métier, sans cette vocation, est dégradant. Il n’est pas digne d’un homme libre. Les Anciens le savaient bien, qui réservaient la carrière de pédagogue aux esclaves.
Quoi qu’il en soit, le professeur représente le type le plus caractéristique de l’intellectuel dans le sens que nous avons donné ci-dessus à ce mot. Il se nourrit, à proprement parler, de la pensée des autres:
Il s’arrête dans la rue et regarde,
Regarde passer les pensées…
Que les autres ont pensées.
dit Nietzsche dans une page célèbre qu’il consacre à ceux qu’il appelle les ‘ruminants de l’esprit' ».
Frédéric Hoffet, Psychanalyse de Paris, Grasset, 1953.
Etonnez-vous après 60 années de démoralisation qu’il faille « revaloriser d’urgence la fonction enseignante »…
« Il y a une paupérisation de la fonction enseignante qui fait que quand l’enseignant rentre dans sa classe, combien y a-t-il d’enfants qui se disent moi, demain, je veux faire le métier du professeur? » (Nicolas Sarkozy, président-candidat, le 27/02/2012).
Illustration: photographie extraite du film « Les choristes ».
quel dommage pour nietzsche qu’il n’ait pas cessé de chercher ces supposés autres avant de devenir fou^^