Face à la marche chaotique du monde (les pathologies sociales, la tragi-comédie politique, l’apocalypse écologique, etc.) et la perte subséquente du sens commun, combien d’entre nous n’en sont-ils pas venus à se questionner sur leur propre santé mentale? Peter Handke, dans L’Après-midi d’un écrivain, nous confesse avoir souvent éprouvé le besoin de vérifier la sienne: « Aussi entra-t-il dans cette auberge des confins de la ville que par-devers lui il appelait « le troquet » pour être bien sûr qu’il n’était pas fou mais que bien au contraire, comme il s’en était toujours rendu compte quand il était avec d’autres, il était l’un des rares qui fût à peu près sain d’esprit. »
L’agoraphobe qui hésiterait à se livrer aux brumeuses conversations du bistrot de quartier pourra se rabattre sur la télévision, observatoire idéal pour une planète qui sombre – il aura alors tout le loisir d’expérimenter l’implacable véracité du syndrome d’Alice:
« Mais je n’ai nulle envie d’aller chez les fous! fit remarquer Alice.
– Oh! Vous ne sauriez faire autrement, dit le chat: ici tout le monde est fou. Je suis fou. Vous êtes folle.
– Comment savez-vous que je suis folle? demanda Alice.
– Il faut croire que vous l’êtes, répondit le chat; sinon vous ne seriez pas venue ici. » (Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, Œuvres, Robert Laffont, Coll. Bouquins, p. 79 sq.)
Un incroyable bilan et une explication brillante de la « folie » ambiante ont été proposés par Iain McGilchrist (philosophe et psychiatre) dans The Master and his Emissary (« Le Maître et son émissaire »), Yale University Press, 2009) dont vous trouverez ici une ample et passionnante présentation en français (traduction due à Michael Francis Gibson).
Illustration: photographie de Giuseppe Miriello