don_quixote_daumier_honoreDon Quiblogue I
« Un homme d’une soixantaine d’années sans qualité particulière, qui n’avait rien à faire, s’inventa un beau jour un blog. Les gens de son entourage étaient d’avis qu’il n’était pas nécessaire d’adopter une initiative aussi extrême. Il avait une femme, il aimait la lecture, profitait des opportunités d’une grande métropole; il avait là, disaient-ils, suffisamment de quoi s’occuper, et il aurait bien pu se contenter des tâches banales que lui imposait la vie de tous les jours. Mais l’homme en question n’était pas satisfait. Et quand il entreprit sérieusement de s’engager dans cette expérience, les siens tout d’abord, puis ses amis pensèrent tous qu’il était devenu excentrique, voire même fou. Il parla de choses et d’autres, effleura sa vie sans la raconter… Il fut tenté d’abandonner. Trois fois on lui remit le pied à l’étrier. La première fois, ce fut l’amicale pression de ses lecteurs; la seconde à l’instigation de sa femme et la troisième parce qu’il ne savait plus rien faire d’autre… Il se retrouva chaque fois dans un état d’épuisement complet, car hanté par la crainte de se répéter et d’ennuyer, le blog auquel il se dévouait était devenu pénible et aliénant. Peu après une quatrième tentative d’abandon, il s’alita, fit son testament, confessa ses péchés, reconnut que son entreprise avait été une erreur, et mourut. »

Don Quiblogue II
« Un homme d’une soixantaine d’années sans qualité particulière, qui n’avait rien à faire, s’inventa un beau jour un blog. Son entourage, dans sa maisonnée, était d’avis qu’il n’était pas nécessaire d’adopter une initiative aussi extrême. Il avait une femme, il aimait la lecture, profitait des opportunités d’une grande métropole; il avait là, disaient-ils, suffisamment de quoi s’occuper, et il aurait bien pu se contenter des tâches banales que lui imposait la vie de tous les jours. Mais l’homme en question n’était pas satisfait. Et quand il entreprit sérieusement de s’engager dans cette expérience, les siens tout d’abord, puis ses amis pensèrent tous qu’il était devenu excentrique, voire même fou. Il parla de choses et d’autres, effleura sa vie sans la raconter… Il y eut des vents contraire, des calmes plats, il persévéra. Trois fois on le poussa à abandonner. La première fois, ce fut l’indifférence de ses lecteurs; la seconde la réprobation jalouse de sa femme et la troisième parce qu’il ne savait plus ce qu’il faisait ni pourquoi il le faisait. Contre toute attente il continua, ce qui le mit bientôt dans un état de bonheur absolu, car obsédé par la crainte de se répéter et d’ennuyer, le blog auquel il se vouait était devenu stimulant et singulièrement gratifiant. Peu après avoir surmonté la dernière incitation à abandonner, il s’alita, fit son testament, confessa ses péchés, admit que son entreprise avait été une bénédiction, et mourut. »

À chacun, la vie, sa vie, paraît bientôt insuffisante.
Ne reste plus alors que la question: quel usage ferai-je de cette insuffisance?
Don Quichotte a répondu – comme chacun répondra: selon son propre vertige.

Illustration: Don Quichotte par Honoré Daumier.

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Patrick Corneau