Je suis debout au bord de la plage.
Un voilier passe dans la brise du matin et part vers l’océan.
Il est la beauté, il est la vie.
Je le regarde jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon.
Quelqu’un à mon côté dit : « Il est parti ! «
Parti ? Vers où ?
Parti de mon regard, c’est tout !
Son mât est toujours aussi haut,
sa coque a toujours la force de porter sa charge humaine.
Sa disparition totale de ma vue est en moi, pas en lui.
Et juste au moment où quelqu’un près de moi dit : « Il est parti ! «
Il y en d’autres qui, le voyant poindre à l’horizon et venir vers eux, s’exclament avec joie : « Le voilà ! «
C’est ça la mort.
« Le voilier » de William Blake
En ce jour saint parmi tous où la sous-culture américaine nous harcèle de ses citrouilles vulgaires, où en divers lieux sacrés et laïcs beaucoup de fadaises seront dites sur la mort – sachant par ailleurs, comme le rappelle Cioran avec sa froide et orgueilleuse lucidité, que peut-être (?) « nous n’avons le choix qu’entre des vérités irrespirables et des supercheries salutaires » – il m’a semblé que seul un poète était habilité à éclairer quelque peu l’énigme des énigmes.
Illustration: photographie de LauraTravels/Flickr
Merci pour ce texte de Blake. En connaissez vous la référence ? Et William Blake l’avait-il illustré ?
Merci pour votre visite. Non, je ne connais pas la référence de ce poème dans l’oeuvre de William Blake, poème découvert sur le web (Vive la sérendipitié!).
🙂
Ah, si chacun des 365 jours de l’année étaient des premiers novembre.
Comme je serais bien.
Et il est beau ce poème !
La beauté est dans le regard qu’on porte sur la chose belle.
L’énigme des énigmes. « La grande mort que chacun porte en soi ». « La face de la vie non tournée vers nous ». (Rilke). Comme vous ce matin, j’ai commencé ma journée avec un peu de poésie.
oui sans doute « nous n’avons le choix qu’entre des vérités irrespirables et des supercheries salutaires » , mais que faire du désir de peut-être grand ouvert, une interrogation dont les parenthèses auraient été soufflées ?
ho capitaine, mon capitaine…est très cool aussi dans ce registre marin (ceci dit sans rien enlever à blake)
Ô capitaine, mon capitaine! (Walt Whitman)
Ô Capitaine ! mon Capitaine ! fini notre effrayant voyage,
Le bateau a tous écueils franchis, le prix que nous quêtions est gagné,
Proche est le port, j’entends les cloches, tout le monde qui exulte,
En suivant des yeux la ferme carène, l’audacieux et farouche navire ;
Mais ô cœur ! cœur ! cœur !
Oh ! les gouttes rouges qui lentement tombent
Sur le pont où gît mon Capitaine,
Etendu mort et glacé.
Ô Capitaine ! mon Capitaine ! lève-toi et entends les cloches !
Lève-toi – c’est pour toi le drapeau hissé – pour toi le clairon vibrant,
Pour toi bouquets et couronnes enrubannés – pour toi les rives noires de monde,
Toi qu’appelle leur masse mouvante aux faces ardentes tournées vers toi ;
Tiens, Capitaine ! père chéri !
Je passe mon bras sous ta tête !
C’est quelque rêve que sur le pont,
Tu es étendu mort et glacé.
Mon Capitaine ne répond pas, pâles et immobiles sont ses lèvres,
Mon père ne sent pas mon bras, il n’a ni pulsation ni vouloir,
Le bateau sain et sauf est à l’ancre, sa traversée conclue et finie,
De l’effrayant voyage le bateau rentre vainqueur, but gagné ;
Ô rives, Exultez, et sonnez, ô cloches !
Mais moi d’un pas accablé,
Je foule le pont où gît mon Capitaine,
Étendu mort et glacé.