« Un film dont on ne saurait jamais laquelle est la première bobine »: telle était l’idée de départ d’Alain Resnais et Alain Robbe-Grillet pour le projet  de L’année dernière à Marienbad (1961). J’ai revu le film hier soir sur Arte, je me suis autant ennuyé qu’il y a… 45 ans lorsque  je l’avais découvert dans le ciné-club de mon lycée, mais d’un ennui autre. Celui-là était fait d’impatience et d’ignorance, celui-ci plein de la mélancolie des choses qui ne sont plus. Avant tout la présence radieuse de Delphine Seyrig, éblouissante de charme dans ses « petits chiffons de Chanel »* et ses « trucs en plumes »* dessinés par Bernard Evein, ses poses alanguies, la perfection de la mèche et cette pointe de fêlure dans la voix. Irrésistible. Sûrement aussi le charme d’un cinéma qui n’existe plus, paradoxalement une froideur, une attente, une lenteur faite d’attention aux êtres et aux choses mobilisées pour une déclaration d’amour à une actrice et à un art de l’image disparus. Pas d’histoire, pas de personnages, pas de psychologie: on ne peut être plus loin de l’impératif du story-telling d’aujourd’hui qui imprègne et encombre cinéma, littérature, publicité et, hélas, politique. Pour retrouver quelque chose d’approchant à l’écran, de délicieusement ennuyeux ET beau, il faut aller voir du côté de francs-tireurs inspirés comme le Mexicain Carlos Reygadas (Lumière silencieuse, absolument sublime!) ou le Magyar Béla Tarr…

* Dixit Volker Schlöndorff dans le passionnant (et délicieusement ennuyant) documentaire « Souvenirs d’une année à Marienbad » qui a suivi la projection du film.

Illustrations: ARTE, Delphine Seyrig / La photo glissée dans le petit livre de poèmes de Rilke que lit le personnage de « Mme A. » joué par Delphine Seyrig, qu’elle avait offert et dédicacé à Volker Schlöndorff à la fin du tournage (au premier plan un kleenex pieusement conservé par V. Schlöndorff avec l’empreinte des lèvres de l’actrice…)

  1. k.role says:

    j’ai préféré le documentaire qui a suivi. je l’ai trouvé plus amusant tout de même. mais c’est vrai que de ces films « délicieusement ennuyeux et beaux » on n’en voit plus guère .. merci pour les noms des réalisateurs à découvrir .

    Allez voir Mélancholia : c’est un film !

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Patrick Corneau