Les relations de couple vues par le narrateur de Dublinesca, le dernier et étonnant livre d’Enrique Vila-Matas (Bourgois):
« – Et que sais-tu d’autre sur l’Irlande ?
Au moment où il va dire à sa mère que ce pays est ce qui ressemble le plus à ce salon, son père reproche gentiment à sa femme de presser son fils comme un citron et ils ne tardent pas à se quereller. Elle ne lui fera pas de café pendant deux jours, lui dit-elle. Cris séniles. Ils ont des caractères totalement différents. Ils s’aiment depuis toujours, voilà précisément pourquoi ils se haïssent. En fait c’est eux-mêmes qu’ils haïssent. Ils lui rappellent quelque chose qu’avait dit, un jour, le poète Gil de Biedma au pub Tuset de Barcelone. Une relation intime entre deux personnes est pour chacune d’elles un instrument de torture, qu’elles soient de sexes différents ou pas. Tout être humain porte en lui une certaine dose de haine envers lui-même, et cette haine, celle de ne pas pouvoir se supporter, doit être transférée vers une autre personne, la mieux désignée étant celle qu’il aime.
A bien y réfléchir, c’est ce qui lui arrive aussi avec sa femme. Il est des jours où il se sent plusieurs personnes à la fois et son cerveau est plus peuplé de fantômes que la maison de ses parents. Il ne supporte aucune de ces personnes, il croit les connaître toutes.
Il se hait lui-même parce qu’il est obligé de vieillir, parce qu’il a beaucoup vieilli, parce qu’il doit mourir: c’est précisément ce dont il se souvient tous les mercredis avec une ponctualité absolue quand il rend visite à ses parents. »
Illustration: Sempé
une analyse pertinente…