hmorganlettrine2.1280238139.jpgouestfrance_.1280300038.jpgVous avez remarqué: les rayons des supermarchés sont déjà prêts pour la rentrée scolaire… Rien de plus déprimant au coeur de l’été que ces gondoles regorgeant de cahiers, stylos et autres instruments de torture scolaire. Pour couper court à ce registre désolant, surtout si vous êtes un homme ou une femme de l’art, je ne résiste pas à partager ce texte hautement revigorant de Dominique Noguez: « Comment rater si vous êtes enseignant »:
« Contribuez à finir de faire de ce qu’on appelait ‘le plus beau métier du monde’ ce qu’il est enfin devenu: un boulot de merde que personne ne veut plus faire. Vous aurez de la concurrence. Depuis quelques décennies, c’est devenu un sport de masse pour suicidaires. On est passé des hussards noirs de la République aux pyjamas gris des établissements psychiatriques.
La question n’est plus: comment rater? C’est le lot de tous. Mais comment rater encore plus. Un moyen paraît tout trouvé: faire aujourd’hui, surtout dans les collèges à problèmes, dans les quartiers dif­ficiles des banlieues sensibles, et même ailleurs, jus­que dans les universités, exactement ce qu’on faisait partout en France il y a quarante ans. Arrivez donc à l’heure, un cartable à la main, habillé avec recher­che (complet, chemise, cravate; jupe et corsage). Faites l’appel. Rendez les copies: la meilleure note est un 16/20, beaucoup n’ont pas la moyenne, deux ou trois ont un 2, il y a même un 0 car un élève a recopié mot à mot une encyclopédie. Quelqu’un chu­chote? Arrêtez-vous. Bien. Le silence obtenu, faites réciter. Maintenant, passez à votre cours. Ne dictez que les passages essentiels et les citations. Pour le reste, soyez le plus vivant(e) possible, les élèves prendront des notes. Lisez et relisez le texte à voix haute. Pantagruel de Rabelais? Mais oui. Androma­que de Racine? Mais oui. Jacques le Fataliste? Mais oui. Le Rouge et le Noir? Parfaitement. On ne cause plus comme ça? – Et vous, mon petit, pensez-vous qu’on causera encore comme vous dans dix ans? Vous vous y ferez. Vous êtes là pour appren­dre. Ce n’est pas du martien! Même pas du turc ou du javanais. C’est votre propre langue, en plus lumi­neux. Vous n’en parlerez ensuite que mieux. Vous n’en penserez que mieux. Vous n’en vivrez que mieux. Etc. Etc.
Tohu-bohu assuré? Cours écourté? Bagarre cer­taine? Infirmerie? Pas sûr, hélas: aujourd’hui, si vous enseigniez de la sorte, passé les premières minutes de surprise, les djeunes sont si bizarres, qui sait si ce ne serait pas un grand succès? »

Dominique Noguez, Comment rater complètement sa vie en onze leçons, Rivages Poche, Editions Payot.

Illustration: Photographie Ouest-France

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Patrick Corneau