martinparr5.1279977032.JPGhmorganlettrine2.1279977089.jpgJean Levi a donné une formule excellente pour qualifier le touriste: “Il est là pour s’assurer de la conformité de ce qu’il voit avec les cartes postales”. J’ajouterai « et des guides ». Tout en prenant à toute allure des photos sans même avoir jeté un coup d’œil au monument vis(it)é: la photo servant de truchement unique, définitif à son regard; photo prise, aussitôt numérotée dans le compteur électronique de l’appareil numérique, bientôt rangée, sur le disque dur d’un ordinateur et vite oubliée. Un pas supplémentaire est parfois nécessaire, c’est la empreinte imparable de la réalité de ce qu’il venait voir: lui-même, sa femme, sa fille, son chien, pris en photo devant le monument: homo narcissus apparaissant au premier plan sur la carte postale, et reléguant les vestiges célèbres au rang de simple décor.
Comme l’a montré récemment Marin de Viry* (mais il n’est pas le premier), le tourisme est concomitant à la démocratisation, puis à la massification; bref, c’est l’histoire d’une désertification en marche. Plus il y a de touristes dans le monde, moins il y a de monde dans le touriste, être de plus en plus vide et informe dans un monde de plus en plus défiguré et repaysagé à son image. Aujourd’hui, on a passé un cap car c’est moins le départ qui définit le tourisme, que l’arrivée du tourisme qui redéfinit tout le reste. Dans la famille et le travail, mais aussi dans sa vie quotidienne chacun est invité à vivre sur un « mode touristique », grâce par exemple aux innombrables boutiques world et autres melting shops qui permettent l’acquisition au coin de la rue de souvenirs d’artisanat indien ou africain en vue de dépayser son chez-soi sans le quitter. C’est un « choc de l’étrange » dans votre coin cuisine. On peut donc parler du tourisme comme ontologie, voire comme oncologie générale: à savoir la prolifération métastatique à l’échelle de la planète d’un être-au-monde sans l’être et sans le monde.
Sic transit gloria mundi.

*Marin de Viry, Tous touristes, Flammarion, (coll. Café Voltaire), 2010, 125 p.

Illustration: photographie de Martin Parr.

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Patrick Corneau