hmorganlettrine2.1267804861.jpg1150749500.1267804987.jpgSi Proust avait fini par le retrouver, chez Modiano il est irrémédiablement égaré. Pour notre plus grand plaisir. Lire Modiano c’est comme absorber une drogue douce qui nous chasserait de l’actualité gesticulante, du détestable contemporain pour nous propulser dans les limbes d’un temps rêvé, suspendu, indéterminé, labyrinthique… Avec un perpétuel sentiment de « déjà vu » et cette peur vague, monotone, insistante comme un léger mal de dent…
« ‘Vous avez peur de quelque chose?’ Il se souvenait très bien de cette question qu’elle lui avait posée un soir, en le fixant d’un regard à la fois étonné et bienveillant. En ce  temps-là, l’inquiétude devait se lire sur son visage, dans sa façon de parler, de marcher et même de s’asseoir. Il s’asseyait toujours en bordure des chaises ou des fauteuils, image004.1267805330.jpgsur une seule fesse, comme s’il ne se sentait pas vraiment à sa place et qu’il s’apprêtait à fuir. Cette attitude étonnait quelquefois chez un garçon de haute taille et de cent kilos. On lui disait: « Vous êtes mal assis… Détendez-vous… Mettez-vous à votre aise… », mais c’était plus fort que lui. Il avait l’air souvent de s’excuser. De quoi, au juste? Il se posait par moments la question lorsqu’il marchait seul dans la rue. S’excuser de quoi? hein? De vivre? Et il ne pouvait s’empêcher d’éclater d’un rire sonore qui faisait se retourner les passants. »
Ce beau roman se termine non sur un « happy end », impensable dans l’univers de Modiano, mais sur un « fuzzy end » – une fin floue pourrait-on dire, en forme d’interrogation: qui croire, que croire? Car « mieux valait ne pas en savoir plus. Au moins avec le doute, il demeure une forme d’espoir, une ligne de fuite vers l’horizon. »
Patrick Modiano, L’Horizon, Gallimard, 2010
, (p. 83).

Illustration: anonyme / Editions Gallimard

  1. Rodrigue says:

    Le doute dernier refuge de l’espoir… Connaissez-vous le monde de W.G.Sebald encore plus abouti, à mon sens, que celui déjà si beau, de Modiano ?

    Je n’avais pas pensé à ce rapprochement, il est très pertinent; la mélancolie de W.G.Sebald est plus « saturnienne » que celle de Modiano: d’où une beauté plus profonde, donc plus universelle.

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Patrick Corneau