filipefranco.1258192385.jpg« Les vaches donnent l’impression d’avoir l’éternité pour elles. Un jeune taureau à l’œil rond nous regarde avec l’air de dire  ”Nous sommes frères, bien que nous ne broutions pas les mêmes herbes.” Comment soutenir son regard, si l’on songe au destin qui l’attend? Celui-là gambade en liberté; il connaît les levers et les couchers du soleil, il a l’eau et l’herbe à profusion, aucune tarabastelle n’entrave ses pas. Quand l’envie lui en prend, il se met à galoper. Mais un jour un camion montera sur la lande. Deux brutes l’attraperont au lasso, le ceintureront, le feront monter de force dans le ventre de la machine, l’emporteront dans un bruit de moteur qu’il n’a jamais encore entendu vers de blancs laboratoires où son destin sera scellé. L’assassinat méthodique aura commencé. Il aura beau se débattre, hurler de terreur, averti par son instinct qu’on est entrain de le tuer, le tapis roulant de l’abattoir électronique se mettra en branle. Ses chairs volées à la vie, arrachées sans vergogne à la liberté, seront accommodées aux oignons et aux lardons, cuites en sauce ou sur le grill, mastiquées, avalées, digérées, expulsées, en toute impunité. »
La ballade des pèlerins
, Edith de La Héronnière, Mercure de France

“Que sommes-nous? Un troupeau de bétail fantôme, des simulacres de souffle, des ombres passagères traversant rapidement les pâturages du monde en direction d’un cimetière où, sur un simple claquement de doigts, l’éternité est semblable à un jour et un jour semblable à l’éternité.”
Gloire de la vie, Llewelyn Powys, Isolato.

hmorganlettrine2.1258195089.jpgParce que dans ce monde tout existe pour aboutir à une photograhie, essayons de faire retour au texte par le biais de l’image. L’occasion nous est donnée ici de faire connaissance avec l’écrivain Edith de la Héronnière que sa grande discrétion, suprême élégance, a jusqu’ici voilé aux yeux du plus grand nombre (sauf aux familiers de la NRF et de la Revue Des Deux Mondes). Et, de fait, lorsqu’on lit Edith de La Héronnière, il est rassurant de sentir qu’une personne authentiquement vouée à sa tâche d’écrire ce qu’elle souhaite écrire a mis à notre disposition le fruit de ses pensées et même un peu plus: une hauteur de vue et une finesse, peut-être un je-ne-sais-quoi de la grâce qui ne touche que ceux qu’elle souhaite toucher, lorsqu’elle veut bien les toucher. Et il est certain qu’Edith de la Héronnière a été touchée. Elle fait partie de ces écrivains qui ont le don de « posséder la vue, non la perception » (Ernst Jünger). Une sensibilité subtile, délicate que beaucoup de nos élites esthétiques devrait jalouser si elles étaient accessibles à l’art du minus dicere et au sentiment d’elles-mêmes.

Bibliographie indicative d’Edith de la Héronnière ici.

Illustration: photographie de Filipe Franco

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Patrick Corneau