hmorganlettrine2.1264627782.jpgUn grand couturier brillant (« Jean-Louis ») et redouté que sa célébrité planétaire a transformé en « oracle » pluriculturel, « gourou » multimédiatique, saint patron des « fashion victims », se confie à une romancière française (« mygale à stylet ») en vue de mémoires posthumes (les vacheries d’outre-tombe sont inattaquables). Portrait d’époque au vitriol à travers un dialogue étincelant où saillies désopilantes et formules cruelles (à propos des femmes – mais colportées par d’autres femmes…) pilonnent le lecteur qui n’en peut mais…
Un passage où la télévision est démolie allègrement:
« En tout cas, la télé, je préfère y aller plutôt que de la regarder.
– Pourquoi?
– Parce que j’ai mis du temps à comprendre que ce qui rend malheureux, ce n’est pas la
vie, mais son commentaire. Quand je reviens à mes livres, à la conversation délicate avec quelques amis, je baigne dans la couleur d’une heureuse civilisation. Alors que la télé se jette sur vous comme on lance un filet sur un animal. Y faire le clown est une chose. En être l’esclave en est une autre.
– Quelle gravité, là, Jean-Louis…
– Pas du tout. Je vous dis seulement que regarder les actualités télévisées revient pour moi à consulter la main courante d’un commissariat. Entre le typhon caraïbe et l’agression cantonale, toute la litanie des plaies d’Egypte se voit détaillée par des blo
lambron.1264628893.jpgndinettes en tailleur noir qui déchiffrent des mots sur leur prompteur comme on récite la liste des promotions d’un grand magasin. Ensuite, elles envoient la météo.
– Mais c’est l’actualité, Jean-Louis. L’actu.
– Non, j’appelle cela de la compassion sadique. On contemple sur un écran les malheurs du monde en se réjouissant secrètement de ne pas les subir. Les téléspectateurs ne sont pas des croque-morts, ni des paratonnerres. Un journal télévisé ne devrait pas fatalement se voiler de crêpe noir. En conséquence, j’ai appris à m’immuniser en tournant le bouton. »
Marc Lambron, Théorie du chiffon
, pp. 82-83, Grasset, 2010.

Après les satires enjouées de la Madone du Chabichou et des débuts du règne de Nicolas 1er, on retrouve dans cette sotie décapante un Lambron très en verve où « son talent de portraitiste et son brio stylistique font les mêmes étincelles en matière d’intelligent décryptage des tendances contemporaines » (Cécile Guilbert, LE MONDE DES LIVRES du 07.01.10). Inutile de dire qu’il y a beaucoup de Lambron dans « Jean-Louis », et on devine, derrière, la grande ombre amusée de Paul Morand (l’intelligence, la misogynie, « l’aristocracisme », la culture, les vachardises, le non-conformisme, la liberté). A lire tout de même à petites doses, sinon on entend tourner le disque…


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Patrick Corneau