De nombreux maires ont paraît-il de plus en plus de mal à mobiliser les jeunes générations qui ignorent ce qu’est le 11 novembre et pourquoi ce jour est férié. Cette date est devenue une journée comme les autres, voyez l’empressement des commerces et grandes surfaces à ouvrir. Les quatre années de ce conflit s’effacent inéluctablement de la mémoire collective.
Alors, cultivons notre devoir de mémoire pour ne pas oublier… en lisant, par exemple Alexandre Vialatte, héraut de cette génération d’adolescents abominablement sacrifiés. Ainsi le petit Badonce* chez les pères jésuites de Mont Roland : il entre un soir à l’étude de cinq heures. Il travaille avec acharnement jusqu’à six heures douze. A six heures treize, il range soigneusement ses livres et se présente à six heures quinze précises devant le répétiteur pour lui dire « C’est fini. » Il vient d’avoir juste 17 ans et trois mois et il part s’engager dans les Zouaves. « Un joli zouave! répondra le maître abasourdi, en regardant ce petit homme. » Oui, mais le petit homme, surhomme qui aimait trop les créatures, deviendra vite aspirant, élève-cadavre en quelque sorte, en attendant qu’une balle blindée lui pulvérise la cervelle et le fasse mourir, père de famille, avant qu’il n’ait pris « son bachot ».
Voilà les adolescents de Vialatte, collégiens chimériques, épiés puis fauchés par « la grande noire, aux yeux sévères, déjà ridée. Celle qu’on retrouvait partout, à la table des fermes et sous le porche des mairies, avec son corset de bronze, sa poitrine étroite et son tablier plein de grenades… »
Ceux qui en réchapperaient allaient dire: « Plus jamais ça! » et leurs enfants, petit-enfants ou arrières petits-enfants oubliraient**…
*Badonce et les créatures, Julliard, 1982.
**Voici ce qu’écrivait Vialatte sur la faculté d’oubli dans une de ses admirables chroniques: « (…) La jeunesse ignore les épilogues qui synthétisent et expliquent les choses, qui les créent rétrospectivement en en montrant les liens, en en faisant des tableaux. Elle ne voit que des points de départ, tout dispersés, prologues de pièces encore inconnues. Elle a les fils, elle a la trame, elle ne sait pas encore l’image qui sera brodée sur les tapis. C’est la vieillesse qui les sort des coffres et qui est éblouie de leur richesse. La jeunesse vit dans le gris, le quotidien se vit dans le gris, à tâtons et péniblement; le présent se vit dans la souffrance; le passé dans l’émerveillement. Le présent est de l’action; le passé n’est qu’une histoire. L’oubli opère un travail nécessaire. Il ne fonctionne d’ailleurs que par intermittence. Il use les choses et n’en laisse plus que l’image. Elle suffit à notre peine et à notre émerveillement. »
Illustration: photographie du Chemin des Dames, Berry-au-Lac, devant le Mont Sapigneul (Marne): 35 000 tués pour une avancée de 500 mètres après la désastreuse offensive du général Nivelle du 16 avril 1917.
Magasins ouverts le dimanche, mais pourquoi pas aussi les jours fériés (et cette commémoration du 11 novembre, à quoi ça rime ?), ça permettrait d’aller à l’hypermarché acheter des bombes de crème Chantilly.
Le Chef de l’Etat est à Douaumont aujourd’hui, avec son casque à cimier : mais pendant ce temps-là, personne ne travaille !
Même les Poilus se la coulent douce ! Intolérable ! Debout les morts !