Pour faire suite à notre précédent billet sur le tittytainment, portrait de l’homme moyen*, homme mécanique, ou « neuronal » selon Marin de Viry:
« Avec ses nouveaux amis les abrutis, Jean déjeune en pianotant sur son smartphone pendant qu’ils font la même chose. Ils s’échangent des nouvelles comme on coche les cases d’un questionnaire. C’est d’autant plus facile qu’ils partagent la même grille de lecture: ton job en ce moment, fuck ou cool? Tes stocks en ce moment: fuck ou cool? Ta femme en ce moment, fuck ou cool? A la fin, ils comparent leur score et ils repartent. Jean va de Paris à Lyon par l’autoroute A6 en consultant son GPS toutes les vingt secondes. Son intelligence est devenue une vieille souche, dont les moyens modernes comme le SMS et l’internet mobile accélèrent le pourrissement. En milieu urbain, il se meut désormais sans être affecté par les contrariétés. En vacances, il reçoit les mêmes impressions de Courchevel que du Taj Mahal, à la température près. Il tire de saint Augustin le même profit que celui d’une interview de Geneviève de Fontenay. Il digère les rognons grillés Henri IV ainsi qu’un carpaccio d’asperges vertes. Quel que soit l’événement ou l’être qu’il rencontre, le fond de son cerveau produit la même phrase, accompagne de son rassurant petit bruit tibétain: « Fous-moi la paix, fous-moi la paix, fous-moi la paix personne X, évènement Y, situation Z. »
(…) L’apparence de Jean est désormais calme et ouverte, et son ressenti global est neutre comme de l’eau déminéralisée. Il rumine, et cette rumination écrase tout. De son cerveau-ventre, coule en abondance le lait de la quiétude.
L’abrutissement est une forme de panacée, si on considère que la guérison est l’indifférence. »
Le matin des abrutis, Marin de Viry, JC Lattès, 2008
* « L’homme au chapeau mou » disait Vialatte.
Illustrations: photographie de Pedro Meyer et d’Olivier Debanne
Formidable, ce texte d’un auteur que je ne connaissais pas. J’apprécie de toujours pouvoir glaner ici de nouvelles pistes.