9782070787210.1219440967.jpgDans une nouvelle vraisemblablement écrite à la fin des années soixantes d’un recueil récemment traduit, John Cheever (1912-1982) imagine le moment où la « vraie » littérature sera lue sous forme de graffitis (ou plutôt de calligraphies très soignées) dans les endroits les plus triviaux ou sordides (latrines, etc.) alors que la pornographie, remontée des sous-sols, s’affiche ouvertement dans les endroits publics.
Prémonition?

« J’étais consterné, bien sûr; j’étais rempli de dégoût. A cause de la trivialité des lieux, le caractère puéril du conte était nauséabond. Je me hâtai de regagner la noble salle d’attente et ses pans limpides de lumière colorée, et je m’assis près d’un présentoir de livres de poche. Leurs couvertures vulgaires, et ce qu’ils laissaient miroiter de descriptions détaillées de scènes de sexe, semblaient être en rapport avec ce que je venais de lire. Voici ce qui s’était produit, imaginais-je: au fur et à mesure que la pornographie entrait dans le domaine public, ces murs de marbre, dépositaires immémoriaux de ce loisir, s’étaient vus contraints, par mesure d’autodéfense, à s’atteler à la tâche plus noble de la littérature. L’idée me parut révolutionnaire et déconcertante, et je me demandai si, dans l’espace d’un ou deux ans, il me serait possible de lire la poésie de Sara Teasdale* dans des toilettes publiques, tandis que le roi de Suède honorerait quelque brute vicieuse. Puis mon train arriva et je fus heureux de quitter Indianapolis et de laisser, du moins je l’espérais, ma découverte dans le Middle West. » Extrait de « Mené Mené Teqel ou-Parsîn », Le ver dans la pomme, nouvelles traduites de l’anglais par Dominique Mainard, Editions Joëlle Losfeld, 2008.

*Poètesse américaine (1883-1933).

Illustration: Editions Joëlle Losfeld

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Patrick Corneau