C’est un de mes exercices favoris quand je voyage: changer de peau, attraper un destin-minute, me couler dans la vie d’un autre et échanger son opacité contre la mienne. Les occasions sont multiples pour celui qui ne se résigne pas à être lui-même et qui, comme le Zelig de Woody Allen se coule dans le moule ou le rôle qu’on lui propose. Les restaurants, surtout lorsque le service traîne en longueur, sont de parfaits observatoires de la diversité humaine et favorisent cet exercice compassionnel.

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Ainsi cette pizzeria dans le centre de M. où semblait avoir échoué une clientèle de voyageurs rebutés d’avoir à s’éloigner de leurs hôtels. Les personnes seules sont toujours plus intéressantes: non requises par une conversation ou la présence d’autrui, elles semblent moins défendues. Un regard qui erre à travers la salle en dit plus long qu’une conversation polie. Un geste légèrement décalé dévoile soudain une existence avec son poids de fatalité, ses difficultés, ses failles secrètes. Pourquoi cette femme d’âge moyen, ni belle ni laide, semble-t-elle encombrée d’elle-même? Elle ne touche quasiment pas aux plats qu’elle a commandés et fume avec précipitation comme pour masquer un ennui insondable. Après avoir tapoté sur son portable, elle se lève et sors de la salle comme ralentie par le fardeau de sa tristesse. Son regard où se lit l’étoile de la mélancolie donne le vertige.

« Le but du voyage est de se sentir proche des Lointains et consanguins des Différents. Se sentir chez soi dans la coquille des autres. Comme un bernard-l’hermite. Mais un bernard-l’hermite planétaire. » Jacques Lacarrière

Illustration: photographie ©Unautreroman

  1. Elsa says:

    Peut-être cette solitaire semble-t-elle encombrée d’elle-même parce qu’elle ne sait trop par quelle attitude camoufler qu’elle observe cet autre solitaire.

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Patrick Corneau