Dans le très beau livre Ce peu de bruits* que Philippe Jaccottet, grand poète et immense traducteur, a consacré au silence croissant qui entoure toute vie déclinante, sont évoqués les derniers jours de Kafka et notamment ces « feuillets de conversation » où l’écrivain aphone a noté ses toutes dernières paroles, « les plus nues, les plus désarmées ». Outre l’immense sollicitude qu’il éprouvait pour autrui (les débris de verre qui pourraient blesser la servante si elle venait pieds nus), Kafka parle des fleurs et de leur touchante fragilité:
« J’aimerais m’occuper surtout des pivoines, parce qu’elles sont si fragiles.
Et les lilas au soleil. »
« Ne pourrait-on se baigner clans le ruisseau, et puis un bain d’air ? »
« Regardez le lilas, plus frais que le matin.
Il faut mettre la bonne au courant du verre, elle vient parfois pieds nus. »
« Le lilas, c’est merveilleux, n’est-ce pas – il boit en mourant, il se saoule encore.
Ça n’existe pas, qu’un mourant boive. »
« Mets-moi un instant la main sur le front pour me donner du courage. »
Et Jaccottet de célébrer dans cette prose si modeste et si fraîche « Ce bruit de l’eau qui vient encore jusqu’à vous. »
Kafka, Hölderlin, Rilke, Handke filtrés à travers le baume de la prose de Jaccottet sont véritablement « Ce peu de bruits, qui parviennent encore jusqu’au coeur ». Précieux vade-mecum contre la marée du nihilisme dans un monde qui indubitablement, selon le poète, « court à la catastrophe ».
* Gallimard, février 2008. Lire à ce propos le très beau billet à lui consacré par Pierre Assouline.
** Mort à Kierling, près de Vienne, le 3 juin 1924.
Illustration: photographie de Nadya R.