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Célébrer une fête et « faire la fête »

292.1198771083.jpegUn sociologue pourrait être tenté de reconnaître dans l’humanité actuelle bien des traits par lesquels naguère se caractérisait la fête. Tous rôles et contrôles abolis, sans plus de norme que de règle, chacun s’y livre avec tous à cette libération prodigue et joyeuse de toutes les énergies. En dépit des similitudes qu’on peut observer entre les anciennes bacchanales, les saturnales, les lupercales, et la sensualité improvisée d’aujourd’hui, il y a pourtant une différence de nature entre ces diverses sortes de fêtes. Entre célébrer une fête et « faire la fête », il n’y a de commun que le mot. Ayant un caractère liturgique et presque sacré, les fêtes d’antan, même les plus païennes, se déroulaient selon un rituel fixé par la tradition. Quoique tout y paraisse s’improviser, tout y était aussi réglé qu’une chorégraphie. Même la liesse y avait ses canons, ses institutions, ses confréries, ses emblèmes, ses figures. La communauté ne feignait d’y dissoudre ses liens ordinaires que pour les resserrer. Tout à l’inverse, c’est parce qu’ils s’éprouvent exclus ou abandonnés de toute communauté que les fêtards tentent d’oublier leur solitude dans l’ivresse. Pour « faire la fête », ils se retirent, ils s’écartent, ils se retranchent, ils s’enferment. La fête, alors, c’est ce qu’on vole de bonheur à ce qu’en interdit la communauté: c’est une contrebande. Une clandestinité.
Et pourtant, cette manière devient à son tour de plus en plus problématique. Pour la simple raison qu’il sera de plus en plus difficile de célébrer (pour s’en cacher ou s’y soustraire) quelque communauté que ce soit. N’ayant plus avec ses congénères que des relations aussi frustes que furtives, aussi nécessairement banales que généralement fugace, l’idée même de communauté – je veux dire ces bulles psycho-acoustiques chaleureuses où s’expriment de hautes tensions sociales, des atmosphères authentiquement culturelles – sera devenue pour nos contemporains nulle et non avenue. Comme l’avait prédit le moustachu intempestif, le « désert croît ».

Illustration: photographie extraite du film Inland Empire de David Lynch

  1. J’aime que vous citiez « le moustachu intempestif ». Las, la moustache ne se porte plus guère (sauf Régis Debray, Edwy Plenel…) et la fête s’annonce à l’avance dans l’ascenseur de l’immeuble avec un écriteau : « Veuillez excuser le dérangement samedi soir ! ».

    Votre blog a attiré trop tardivement mes lunettes.

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Patrick Corneau