A l’époque où je vivais en Allemagne – c’était au début des années 80 – alors que je roulais sur une de ces belles routes de montagne qui font la fierté de ce pays, au hasard d’un lacet qui faisait apparaître ou disparaître la montagne, un homme faisait signe aux voitures de libérer la voie de gauche. En approchant, je me suis aperçu que c’était un robot. J’avais repoussé l’impression funeste qui s’en dégageait, ignoré la régularité mortelle avec laquelle cette main mécanique accomplissait ses mouvements. Ce n’est que plus tard, bien plus tard que je me suis souvenu de ce mannequin comme le premier signe avant-coureur d’une catastrophe liée à l’Allemagne autant qu’à l’Europe. Un destin semblait se nouer au point de rencontre de deux éléments: la substitution irrémédiable du vivant par le mécanique et surtout la croyance, induite ici par un leurre, que l’un équivaut à l’autre.
Bergson définissait le rire comme « du mécanique plaqué sur du vivant ». Force est de constater que dans un monde où partout le mécanique est plaqué sur le vivant, ou mieux, le remplace purement et simplement, tout est devenu risible. Si tout est devenu risible, plus rien n’a d’importance ou de valeur et le cynisme l’emporte. Il reste alors à mettre en place un « think tank » pour concocter une sortie de crise et des « cellules psychologiques » pour consoler les foules, sursauts dérisoires au cœur du marasme ambiant qui nous donnent, paradoxalement, une ultime occasion de rire…

Illustration: photographie anonyme.

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Patrick Corneau