Depuis que les carottes sont cuites, la télévision nous propose des prolongations de la défunte campagne avec des reportages sur les « à côtés », les coulisses, disons plutôt les arrières cuisines car l’odeur qui s’en dégage est plutôt nauséabonde. Evidemment, grâce à des micros qui traînent, beaucoup d’apartés entre des gens qui s’aiment devant la caméra mais se détestent hors champ, et d’autres qui se détestent devant la caméra mais se pommadent hors plateau… Quelques images ahurissantes: dans la rue un militant communiste « de base » souffle à l’oreille d’un sénateur UMP, avec une satisfaction à peine déguisée, que sa candidate va perdre. La même candidate termine un meeting en lançant à l’auditoire en transe un « aimez-vous les uns les autres » christique. Alors que dans l’autre camp, le présidentiable perdu dans ses rêves et l’ivresse de sa montée irrésistible, nous chapitre comme des enfants qui s’attardent à la récréation au lieu de nous « remettre au travail », un plan furtif nous montre Roselyne au fond de sa limousine le regard voilée par un pur orgasme à l’écoute de suaves sondages… Entre médias, QG parisiens et petits fours, les organisateurs des campagnes s’agitent comme maquignons sur un champ de foire, tout en rudesse, cynisme, roublardise et propos vachards, partageant au fond un mépris égal pour les foules et leur protégé(e).
On n’a cessé de nous seriner que la campagne « avait été passionnante », au point même qu’ »on devrait élire le président de la république plus souvent », etc. Elle m’a parue d’une pauvreté consternante. On n’a parlé qu’à mes besoins les plus terre à terre, voulu répondre qu’à des angoisses ou préoccupations entièrement construites pour l’argumentaire des postulants, garantir des pseudo demandes de protection parfaitement infantilisantes. On m’a demandé d’aimer les candidats, d’aimer mon voisin, d’aimer mon pays, de m’aimer aimant mon pays, etc. Je n’ai entendu que des poncifs qui auraient fait la joie de Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues. Quant à mon désir – oui, pas mes doléances, ni mes droits à – celui de vivre dans un monde où, par exemple, les mots « bonheur » (plaisir de vivre), « culture » (plaisir de connaître) aient encore un sens*, bref l’espoir qu’il existe une vie au-delà de la grise ligne d’horizon de l’utilité et de la rentabilité, j’attends toujours…

*Je mesure pleinement l’extraordinaire naïveté que suppose l’emploi de tels mots.

Illustration: « Sisyphe », photographie anonyme

 

  1. « Rosine au fond de sa limousine le regard voilée par un pur orgasme à l’écoute de suaves sondages… »
    Je suppose qu’il s’agit de Roselyne, tant l’image (Roselyne… limousine… orgasme… exhalant un lourd parfum sucré!) est saisissante de vérité de notre ex. de l’environnement (et de son « bilan »)!
    Quelle belle analyse « saine » et « décomplexée » de cette campagne électorale, qui, en réalité, n’en était pas une.
    Les débats sur le Droit, les Libertés; une vision de l’Avenir, la philosophie (oui, on peut exprimer simplement et de façon compréhensible des belles idées), l’Esthétique, la culture… inexistants! Comme si les « petites gens », dans leur malheur de pauvrets, ne pouvaient pas y aspirer, réduits qu’ils sont à n’avoir que des revendications utiles, « pragmatiques ».
    (Avez-vous remarqué que les HLM destinés à loger les désargentés, sont généralement moches, bruyants, bas de gamme, bâtis dans un environnement inesthétique et pollué. Ce n’est pas le cas à Vienne, parait-il).
    Vraies aussi ces injonctions infantilisantes que nous ont adressées les candidats et que vous décrivez. Je ne les avais pas perçues avec autant de claivoyance.

  2. A la réflexion, je suis injuste. Il y a au moins deux buts grandioses et merveilleux que notre président nous enjoint d’ atteindre pour devenir un bon citoyen:
    – enrichissez-vous!
    – soyez propriétaire de votre logement!
    Connaissez donc les joies des réunions de copropriété, et le bonheur d’un échéancier sur 30 ans du remboursement de votre emprunt immobilier.
    (Pour ma part, j’ai tout faux. Je suis panier percé, et locataire absolue. La honte!)

  3. Merci pour vos commentaires. Juste un petit mot pour abonder dans le sens des constats de « jehaismesvoisins »: ceux qui ont été élevés dans une banlieue (lieu de mise au « ban », récemment transformé en « quartiers de relégation » par d’éminents sociopolitologues) laide auront au coeur, humiliés, la « haine » de ce qu’ils auront vu… et n’auront de cesse d’aller remplir le « mitage » des zones pavillonnaires qui ruinent les proches campagnes!
    Pour répondre aux alarmes de Chantal: sur la photo, les rochers sont en haut de la montagne! Alors, Sisyphe peut se reposer… 😉

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Patrick Corneau