La mode est aux miscellanées (ainsi celles de M. Schott, dont le succès mondial a fait des émules qui, voulant sentir le vent des gros tirages, publient des listes de tout et surtout de n’importe quoi). Or dans cette catégorie d’anthologie, recueil, mélanges, il existe des précédents* plus discrets mais pas moins originaux. Ainsi le délicieux Lexique de Jean Grenier: « Des fragments d’idées, de souvenirs, d’émotions, de rêveries, de maximes, constituant un puzzle destiné à ne rien reconstituer d’autre que l’image kaléidoscopique d’un écrivain** ». D’abord édité par Gallimard, Lexique a connu quatre versions, la dernière chez Fata Morga en 1981. Deux exemples à la lettre « A »:
« Absent – Mais non, je ne suis pas absent; je suis présent (ailleurs).
Age – Chaque âge a ses découvertes, et cet âge varie selon les personnes :
à 20 ans seulement j’ai connu les huîtres;
à 30, les persiennes qui se baissent à l’aide de courroies ;
à 35, le café;
à 40, la montagne;
à 45, le thé;
et pas encore l’intérêt que peuvent présenter les discours, conférences, sermons et entretiens. »
Avec Bardadrac, un abécédaire enjoué et souvent ironique paru l’année dernière, le très sérieux Gérard Genette en plus de revigorer la formule de la composition en fragments s’intéresse aux mots-valises dont Jean Grenier avait fait une marotte, collectionnant principalement les « à peu près » (pléonasmes, cuirs, coquilles, contrepèteries, etc.) relevés dans la rue:
« Ce marchand va vous estampiller; il vend très cher de la marchandise qu’il a interposée chez lui avant la guerre; vous devriez le boys­couter; le gouvernement mettra le lumbago sur sa marchandise; il a gagné tellement d’argent qu’il a acheté à sa femme une hémorroïde entourée de brillants; il est devenu un homme proéminent… ». (« L’homme bien renseigné », Les à peu près, collection Demi-mots, Ramsay, 1987.)
*Citons pour mémoire les poétiques listes de la femme de lettres japonaise Sei Shonagon dans ses Notes de chevet.
**Il n’échappera à personne le côté « miscellanées » de ce blog…
illustration: photographie de David Katz

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Patrick Corneau