Lorsque Soutine prononce avec une moue de dégoût le mot « beauté », on entend toute la distance qu’il peut y avoir entre l’inquiétude des corps que met en scène sa peinture et la certitude italienne de la bellezza, éloignée qu’elle est aussi de la raison française qui, depuis Poussin, construit les corps comme on mesure des éléments d’architecture. Il y a une sorte d’inhumanité dans un type de perfection que l’Occident véhicule depuis la Renaissance. La précision anatomique va rarement de pair avec la commisération du cœur. Il y a de rares et belles exceptions: Rembrandt, Le Gréco, Bellini.
La leçon sera comprise et poussée à l’extrême du supportable par Music dans ses admirables – et terribles – nus de Dachau. Au regard d’une esthétique née sur les bords de la Méditerranée, le Beau avait toujours été assimilé au Vrai. Avec Soutine, c’est une autre interrogation que pose cette esthétique née à l’est et au nord de l’Europe, loin du foyer des révolutions esthétiques: que veut dire un corps agonisant? Quelle vérité, quelle ultima verba sourd des chairs affaissées? Que l’art n’est pas là pour rédimer les usures, réparer les outrages du temps, mais pour nous rappeler, sans tarder, son empire. La peinture de Soutine ne cesse de hurler ce qu’écrivait Deleuze à propos de la peinture de Bacon: « Pitié pour la viande! »

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Lettre de Henry Miller à Joseph Delteil (témoignage sur Soutine).

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Patrick Corneau