Entre deux lectures, entre deux chroniques, je me retrouve vacant (lat. vacans, part. prés. de vacare « être vide, inoccupé »). Autrement dit, en panne de sujet. N’ayant pas l’envie de succomber (une fois encore, et toujours une fois de trop) à la passion triste de la sérendipité numérique, je me tourne – car l’heure est grave – vers mon cher Alexandre Vialatte, sûr de trouver matière et réconfort dans le jardin extraordinaire de ses merveilleuses chroniques du journal La Montagne. Et, je trouve car comme l’a dit Picasso, on ne cherche rien dans Vialatte, on trouve ! On trouve tout et même de tout. Donc je trouve la chronique ad hoc : la recette pour sortir du pot au noir du manque d’inspiration. Et puis une autre sur le même thème. Les voici (extraits).
Si vous avez à parler d’un sujet, commencez donc par n’importe où.
Voilà qui facilite les choses. Beaucoup de gens, qui sont pleins d’idées, ne savent jamais par où commencer.
Commencez par n’importe quoi, le soleil, la machine Singer, que sais-je, le président Fallières.
Au besoin, vous pouvez même toujours vous servir du même commencement; par exemple : « Le soleil date de la plus haute antiquité. » Si vous dites la même chose du Président Fallières, ajoutez vite : « Il existait bien avant moi. »
Parti de prémisses si fermées et si catégoriques, pour arriver au sujet même (disons le tigre du Bengale, la femme fatale ou la pomme de Newton), vous serez obligé de l’extérieur à faire de tels rétablissements de l’esprit et de l’imagination que vous trouverez en route mille idées à la fois plaisantes et instructives qui ne vous seraient jamais venues sans cela.
Je ne vends pas la recette, je la donne.
Cette contrainte extérieure, qui est comme celle de la rime, vous aidera, loin de vous entraver. C’est la nécessité de la rime qui a fait naître les plus beaux vers.
C’est l’élan que vous donne la barre fixe qui vous fait faire le saut du lion.
(« Chronique bien sentencieuse et bien philosophique de l’universel écureuil » – La Montagne – 17 décembre 1967)
En somme, ici, comme en peinture ou dans le poème, il s’agit de prendre pour sujet l’objet lui-même, de mettre en musique la Musique, comme les peintres ont voulu peindre la Peinture et les poètes mettre en poèmes la Poésie. L’ambition de l’homme du XXe siècle est de se digérer l’estomac.
On ne se digère pas l’estomac. Mais il arrive qu’en voulant le faire on apprend une foule de choses, on invente, on renouvelle, on crée.
On fait réfléchir la paresse.
(« Tam-tams de Paris et d’Auvergne » – La Montagne – 26 mai 1953)
Voilà, j’ai fait réfléchir ma paresse dans le miroir magique d’Alexandre Vialatte et il en est sorti mille reflets. Le plus beau de ces reflets étant, bien sûr, le mille et unième…
Laissons le dernier mot à ce maître de la loufoquerie gantée et de la fantaisie tirée à quatre épingles avec ce magnifique vrai-faux proverbe bantou :
C’est se conduire en rékéké que d’étouffer le roukoukou dans sa coquille.
Illustrations : (en médaillon) photographie d’Alexandre Vialatte Dartus INA / Dessin de Claude-Henri Fournerie pour Les Proverbes bantous d’Alexandre Vialatte et Michel Perrin, préface de Christian Moncelet, Libraire-Éditeur « Au Signe de la Licorne », 1998.
Prochain billet le 18 février.
Quand le marigot zigzag le crocodile zigzag aussi.
Certes! Mais « Qui rit sous l’okoumé, pleure sous l’acajou. »
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