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Faut-il (dés)ensabler René Girard ?

Patrick Corneau

Dans ma présentation de Tout est accompli j’ai pointé la critique des thèses de René Girard par Yannick Haenel, François Meyronnis et Valentin Retz.
La figure et l’ascendant de Girard, disparu en 2014, sont tels dans les débats contemporains sur les forces dissolvantes du nihilisme planétaire et l’extension mondiale de la violence sous toutes ses formes qu’on ne peut récuser cette œuvre forte et originale d’un simple revers de main. Il m’a paru indispensable de revenir sur les critiques de Haenel, Meyronnis, Retz pour les présenter telles qu’elles sont exposées dans l’ouvrage (pp. 262-277) mais sans les commenter. Libre à chacun de retourner aux œuvres majeures de Girard et aux textes bibliques pour leur confronter une à une les réserves, les contrepropositions faites par nos trois auteurs dans leur exégèse du fantastique processus sacrificiel en cours pour le recalibrage biopolitique de l’humanité.

« Alors que la planète devient une gigantesque officine sacrificielle où l’ensemble du vivant est offert à travers les rets de la cybernétique, nous voilà aujourd’hui les témoins d’un extraordinaire dévoilement. Les choses cachées depuis la fondation du monde s’imposent en première ligne, et d’autant plus qu’elles ont été farouchement déniées depuis le début des Temps modernes. En effet, ceux-ci ne voulaient rien savoir du sacrifice, de même qu’ils réduisaient rites et interdits à des vaines coutumes ou à des superstitions. Mais la courbure des Temps modernes ne cesse de faire revenir ce qu’ils cherchaient à éradiquer. Guerres et expérimentations continuelles nous plongent en permanence dans un élément où notre volonté n’a plus aucune prise ; celui où la réalité est entièrement dédiée, même si le bénéficiaire de la dédicace demeure obscur. Tout ressemble à un immense autel, mais il n’y a plus de dieux ; tout est offert, mais il n’y a plus personne pour offrir. Quelques nigauds essaient même d’imaginer un système capitaliste qui ne conduirait plus l’humanité vers sa perte, poussant le ridicule jusqu’à lui fantasmer un « développement durable », et cela alors qu’ils ne soupçonnent pas quelles puissances du sacrifice sont à l’œuvre dans les rouages de l’économie.
Vers la fin du XXe siècle, René Girard a eu le mérite de soustraire de telles puissances à la désaffection, pour ne pas dire à l’oubli. [Suite du texte ici]

Tout est accompli de Yannick Haenel, François Meyronnis, Valentin Retz, Éditions Grasset, 2019. Extrait (pp. 262-277).

Illustrations : Le sacrifice d’Isaac par Le Caravage – Musée des Offices, Florence / photographie de René Girard par Linda Cicero, ©Stanford News Service.

Prochain billet le 14 juin.

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Patrick Corneau