Née un jour de janvier 1928 à Paris, la grande Jeanne Moreau vient de nous quitter. Une carrière éblouissante (Orson Wells la considérait comme la meilleure actrice du monde, pas moins), une personne éblouissante, une voix unique, une intelligence lumineuse qui avait son franc-parler et ne déguisait rien de ce qu’elle pensait, ressentait. En 1991, elle recevait le César de la meilleure actrice pour son rôle dans La Vieille qui marchait dans la mer de Laurent Heynemann.
De la vieillesse, elle sut faire un exemple de liberté riche d’une vie pleinement assumée dans ses engagements et ses passions: « Souvent, la peur de vieillir abîme plus que l’âge. Moi, je me suis toujours fichue du qu’en-dira-t-on« , assénait-t-elle. Et puis: « On dit toujours qu’en vieillissant les gens deviennent plus renfermés sur eux-mêmes, plus durs. Moi, plus le temps passe, plus ma peau devient fine, fine… Je ressens tout, je vois tout. »
Ces mots consonnent étrangement avec ceux (plus mélancoliques) de Roland Barthes* à la fin de sa vie: « Un écrivain âgé peut se sentir délaissé par son époque; mais sa douleur ne vient pas de sa solitude; elle vient d’une surpuissance assourdie par le bruit du monde qui l’oublie et que cependant il continue de percer avec acuité. Je comprends tout!, s’écrie-t-il avec ivresse et amertume. »
Deux vers célèbres enfantés par un grand-père (qui sut rester vert), Victor Hugo, résonnent dans mon crâne:
Et l’on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,
Mais dans l’œil du vieillard on voit de la lumière.**
* Roland Barthes, « Comprendre », extrait d’une chronique parue dans Le Nouvel Observateur du 18 décembre 1978 au 26 mars 1979, Œuvres complètes, édition dirigée par Éric Marty, tome V, Seuil, 2002.
** La légende des siècle, « Booz endormi », 1859.
Illustration: photographie AFP.
Oui, bien sûr. Jeanne immensément.
Et Claude. Claude Rich, parti en pauvreté d’éloges, ce me semble. En indigence d’hommages.
[En 2006, il était un Galilée habité, par l’amour de Dieu (sous titre du téléfilm) et l’amour de la vérité scientifique. JP Marielle dans le rôle d’Urbain VIII, D. Provost improbable et redoutable Grand Inquisiteur. La voix de Trintignant aussi. Pour la télévision donc.]
Claude et Jeanne. La douce voix de l’un, la rauque de l’autre. Deux visages sans concession à l’artifice. Regards intenses, clair, sombre. Sourires humains. Ne sont plus, à jamais. Mélancolie de ce vide-là.
Oui, hélas, Claude Rich parti sur la pointe des pieds… Artiste d’égale grandeur et qualité humaine. Une distinction rare (« sprezzatura ») dans ce milieu où il y a beaucoup de hâbleurs et de cabotins.