ferli16Michel Serres à 86 ans n’a pas perdu de sa pugnacité. Face à la morosité ambiante et la désespérance grandissante, il met les pieds dans le plat et signe dans son nouveau livre un plaidoyer gonflé d’optimisme pour aimer la vie d’aujourd’hui, avec ses contraintes et ses bienfaits. Plus qu’un remède anti-crise, une lucide et belle leçon de vie qui en indisposera plus d’un. Le bonheur est à portée de main mais nous ne voulons pas le voir, « drogués » de mort que nous sommes, imprégnés d’une culture thanatocratique qui banalise et « naturalise » le pire chez l’homme: la prédation, la violence guerrière et les conflits communautaires, le goût de la puissance, les mentalités sacrificielles et concurrentielles.
De l’histoire du monde à notre « passé mortifère » pour arriver à une époque où on vit en paix (75 ans de paix continue en Europe!), le philosophe met l’histoire en perspective pour expliquer l’époque et honorer les hommes (et les femmes surtout: « Pas un seul mort de leur fait: du concret, de la continuité… ») qui font le bien. Oui, l’humain est bon et il y a toujours selon lui, et fort heureusement, plus de braves gens (des « bombes douces ») qui veulent vivre en paix que d’individus nocifs (seuls visibles, hélas, dans le récit spectaculaire de l’histoire). Une vérité – qui n’est pas seulement statistique – une bonne nouvelle que malheureusement les médias, les discours officiels peinent à reconnaître ou occultent car cela n’est pas « vendeur ». Et puis, il est vrai, on assujettit mieux un peuple craintif, apeuré ou terrorisé que l’inverse…

« Je supplie mes lecteurs de consulter ce tableau, déjà cité plus haut, de l’afficher devant leurs yeux, de le consulter en permanence, pour ne pas se laisser abuser par les annonces quotidiennes des médias, qui ne parlent que violences, assassinats et cadavres pour entretenir la terreur. Homicides et violences ne cessent de baisser dans le monde. En particulier, voici des chiffres officiels donnés par et pour les États-Unis, concernant l’année 2011:1540-1 dix-sept citoyens de ce pays moururent d’attentats terroristes, aussi bien sur leur territoire qu’en Afghanistan ou en Irak; en comparaison, le tabac fit, la même année, dans le même pays, quatre cent mille victimes (10% des morts dans le monde, alors que les guerres y sont pour 0,31%), les accidents d’automobile deux cent mille, l’alcool quatre-vingt mille; il y eut, enfin, cinquante mille homicides par balle, grâce à la liberté du port d’armes. Alors que ces citoyens ont une chance sur sept cent mille d’être tués par la chute d’un astéroïde, ils ont une chance sur dix millions de mourir du terrorisme. Cependant, l’État américain dépense des centaines de milliards de dollars pour se protéger contre ce monstre. Absurde, cet état de choses se répète de manière à peu près équivalente dans les autres pays occidentaux. Nous avons appris enfin dans les livres d’histoire que les crises économiques sont souvent les causes des conflits. Or l’Europe en a déjà traversé quelques-unes sans qu’aucune guerre n’ait été déclarée. Enfin, la courbe des violences ne cesse de baisser dans le monde: en France, le nombre de meurtres a été, depuis le Moyen Âge, divisé par deux; en Europe occidentale, ce même nombre d’homicides a été, en sept siècles, divisé par cent. Nous vivons en paix plus que, drogués, nous le croyons. »
Michel Serres, Darwin, Bonaparte et le samaritain – une philosophie de l’histoire, Éditions Le Pommier,  2016.

Illustrations: Vidéos « Le Monde » (conversations avec Michel Serres dans le cadre du « Monde Festival »).

  1. celestine says:

    Vous me faites un bien fou, avec ce billet, et l’une des premières choses que je ferai quand je serai sortie de ma tourmente, c’est me procurer le livre de M. Serres.
    Merci pour ce bain d’optimisme qui me rappelle que la voie que j’ai choisie, celle de la non-violence, n’est pas si ridicule que cela.
    Je vous embrasse, tiens.
    ¸¸.•*¨*• ☆

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Patrick Corneau