Sachant:
1/ que « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer au repos, dans une chambre ». Pascal, Pensées 139 (éd. Brunschvicg),
2/ que nous sommes en vacances, autrement dit en grande période de partances, transhumances, migrations hélio et hydrotropiques, chassés-croisés bouchonnants et autres joyeusetés,
3/ que le tourisme de masse a tué l’esprit du voyage en massacrant les dernières beautés de cette planète,
il est donc temps de se tourner vers les morales, sentences de l’anti-voyage.
D’où ce petit florilège ouvertement déceptif pour certains, secrètement revigorant pour d’autres.
« Seul l’homme intelligent et le sot savent être sédentaires. La médiocrité est inquiète et voyage. » Nicolás Gómez Dávila.
« Le voyage n’est nécessaire qu’aux imaginations courtes. » Colette
« Nous ne voyageons pas pour le plaisir de voyager, que je sache; nous sommes cons, mais pas à ce point. » Samuel Beckett
« Le voyage est immoral parce qu’il est abolition de l’espace dans l’espace. » O. Weininger
« Voyager est, quoi qu’on en puisse dire, un des plus tristes plaisirs de la vie. Lorsque vous vous trouvez bien dans une ville étrangère, c’est que vous commencez à vous y faire une patrie; mais traverser des pays inconnus, entendre parler un langage que vous comprenez à peine, voir des visages humains sans relation avec votre passé ni avec votre avenir, c’est de la solitude et de l’isolement sans repos et sans dignité; car cet empressement, cette hâte pour arriver là où personne ne vous attend, cette agitation dont la curiosité est la seule cause, vous inspire peu d’estime pour vous-même. » Madame de Staël
« Il vaut mieux ne pas voyager car l’ennui et la mélancolie nous poursuivent partout ». Ennio Flaiano
« Vous vous faites une idée réaliste et raisonnable du voyage, sans doute, mais on ne voyage pas pour des choses raisonnables, pas davantage pour des choses réelles. Au terminus de votre ligne, et de toutes les lignes qui la prolongent, et de toutes les lignes du monde, il n’y a pas de choses sérieuses, il n’y a pas un rendez-vous d’affaires, il n’y a pas un billet de banque, il n’y a pas même un sentiment, il y a un fantôme. » Léon-Paul Fargue
« C’est quand on est chez soi que se jouent, en bien et en mal, la vie, le bonheur et le malheur, la passion, le destin. Le voyage, même le plus passionné, est toujours pause, fuite, irresponsabilité, trêve de tout véritable risque. On revient donc chez soi, au monde adulte, sérieux, envahissant. » Claudio Magris
« On ne voyage pas pour voyager mais pour avoir voyagé. » Alphonse Karr
« En général, rien de plus insipide que les conversations de voyageurs. Ils ont changé de place, non d’idées. » Jules Renard
« Les voyages, ça sert surtout à embêter les autres une fois qu’on est revenu! » Sacha Guitry
« Moi, le seul voyage qui m’intéresse, c’est la mort. Parce qu’on ne rapporte pas de diapos. » Wolinski
« Le plaisir du voyage nous a quittés,
Nous voulons rentrer chez le Père, à la maison. »
Novalis (Friedrich von Hardenberg).
Enfin, un petit apologue chinois qui tend la main à Pascal:
Au début Lie Tsou aimait beaucoup voyager. L’adepte Hou-tch’iou Tsou lui dit:
– On me dit que vous aimez voyager. Qu’aimez-vous donc dans les voyages?
– Pour moi, dit Lie Tsou, le plaisir du voyage réside dans l’appréciation de la variété. Lorsqu’ils voyagent, la plupart des gens ne font que contempler ce qu’ils ont devant les yeux. Moi, quand je voyage, j’observe le processus du changement.
– Je me demande, dit Hou-tch’iou Tsou, si votre manière de voyager ne ressemble pas beaucoup à celle des autres, bien que vous la considériez comme différente. A chaque fois que les gens regardent quelque chose, ils regardent nécessairement des processus de changement, et l’on peut très bien apprécier les mutations des choses extérieures tout en restant totalement inconscient de ses propres mutations. Ceux qui se mettent en peine pour voyager au-dehors n’ont pas la moindre idée des découvertes qui peuvent être faites au-dedans. Celui qui voyage à l’extérieur dépend des choses de l’extérieur. Celui qui voyage en lui-même y trouve tout ce dont il a besoin. Voilà la forme de voyage la plus élevée, alors que bien dérisoire est celle qui dépend des choses du dehors.
Après cela, Lie Tsou n’alla plus jamais nulle part, comprenant qu’il n’avait jusqu’alors jamais su vraiment ce que voyager signifiait… »
Illustrations: photographies de Martin Parr et Agence Reuters.
Le voyage intérieur est sain, entièrement gratuit et écologique, réduisant l’empreinte carbone à un zéro proche de l’infini…
Mais vous voulez mettre l’industrie du tourisme à genou ? Déjà qu’on n’a plus que ça en France… 😉
Ne seriez-vous pas un dangereux agitateur à ficher « S » de toute urgence ?
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Fiche « S » comme vous y allez! Agitateur de rêves (pour de longs voyages intérieurs), je veux bien… 😉
Que trouverais-je ailleurs? Il n’est pour chacun de nous qu’un endroit du monde où nous ayons part au secret du monde. Le pittoresque n’existe pas.Si nous ne sommes que des spectateurs d’un paysage étranger, si illustre soit-il, il ne nous apporte rien, hors la fatigue et le sentiment de temps perdu. Nierai-je pourtant les plaisirs du voyage? Ils tiennent pour les jeunes gens dans la joie physique du mouvement. Mais ces plaisirs n’ont rien à voir avec la possession du monde dont le mystère ne s’accomplit qu’en en lieu familier où la terre nous connaît et où nous connaissons la terre. Au vrai, que de voyageurs, s’ils étaient sincères, conviendraient qu’ils se moquent bien des paysages! Ce sont des créatures qu’ils cherchent.
François Mauriac
Bien vu François ! ! ! Et merci à Serge pour cette très bienvenue citation. 🙂
Voici la conception que se faisait Nietzsche du voyageur (comme toujours quelle intelligence!!!):
« Parmi les voyageurs, on distinguera cinq degrés : ceux du premier degré, le plus bas, sont les gens qui voyagent et sont vus ce faisant, — ils sont proprement menés en voyage, comme aveugles; les suivants voient réellement le monde eux-mêmes; les troisièmes tirent de leur vision quelque expérience vécue ; les quatrièmes assimilent le vécu de façon vivante et l’emportent avec eux; enfin, il y a quelques personnes d’énergie supérieure qui doivent nécessairement, après l’avoir vécu et assimilé, revivre pour finir tout ce qu’elles ont vu en le projetant au-dehors, en actes et en œuvres, dès qu’elles sont revenues chez elles. »
Nietzsche, Opinions et sentences mêlées.
La citation de Nietzsche est proprement fascinante…et bien sûr non-manichéenne.
Quelle respiration !
Oui, le moustachu respire (pense) à la hauteur de l’Engadine, de Sils-Maria, c’est-à-dire à 1800 mètres d’altitude… 🙂
je ne connais pas la Suisse mais j’imagine…
J’aime bien votre association penser/ respirer…
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Et de Maistre et son Voyage autour de ma chambre ? Et j’ai aussi lu (mais où) cette affirmation : « je ne connais toujours pas tout ce qui est de mon côté de la colline, alors pourquoi irais-je voir de l’autre côté ? »
Merci pour votre commentaire. 🙂
On se casse de notre routine de sédentaires pour avoir une routine nomadique, la dernière phrase de nietzch et totalement en accord avec l’époque. il y a quelques personnes d’énergie supérieure qui doivent nécessairement, après l’avoir vécu et assimilé, revivre pour finir tout ce qu’elles ont vu en le projetant au-dehors, en actes et en œuvres, dès qu’elles sont revenues chez elles, sauf que de nos jours, ce n’est plus quelques personnes mais 1 bon milliard de peigne cul de bloggers en quête de « likes » afin d’emmaganiser de la dopamine temporaire derrière leur black mirrors, nouvelle extension de leurs bras.