DSC021450hmorganlettrine2Sur l’embarcadère de la Salute nous croisons la ministre de la Culture et de la Communication en conversation avec une autorité culturelle locale; les visages sont graves, les fronts soucieux, empreints du poids de la responsabilité d’état. Un nuage d’hommes-oreillettes tourne autour de ces soleils du prestige français. Sur une barge amarrée quelques mètres plus loin se dresse un immense cactus en plastique vert entouré de deux œufs blancs géants.

A l’entrée des Giardini une femme arrive avec un cabas dans lequel elle transporte sa tenue « spéciale Biennale ».

Confusion des genres: en observant la foule excentrique des Preview days (journalistes, galeristes, collectionneurs, etc.), on a parfois l’impression de participer à une Venice fashion fair (le Chicago Tribune publie un reportage photo sur le « Venice Biennale street style »).

Alors qu’au Japon le chic (Iki) ne consiste pas à montrer ostensiblement mais plutôt à laisser découvrir, ici dans ce théâtre des vanités c’est l’inverse, on affiche un tonnant paraître – à prendre ou à laisser.

Dans les allées des Giardini beaucoup de gens parlent trop fort pour que ce soit juste pour leur interlocuteur.

Le jour même de l’inauguration de la Biennale, le drapeau breton qui flottait fièrement au-dessus de la collection François Pinault, à la pointe de la Dogana, a été baissé.

ALL THE WORLD’S FUTURES (titre choisi par le commissaire Okwui Enwezor pour cette 56ème édition de la Biennale): illusion de l’exhaustivité, de l’accomplissement, arrogance de la connaissance anticipée. Dans le registre mégalomaniaque, deux des nombreuses chimères de la postmodernité.

Trop d’artistes ici ont tendance à exhiber leur bonnet d’âme.

A mesure que la journée passe, la population des vaporettos change. Sacs à dos et shorts laissent progressivement la place aux pochettes et tenues de soirée. Les remugles s’éclipsent au profit de têtus ou sophistiqués parfums. Sautant d’un bateau à l’autre, les nantis de l’hyperclasse mondialisée se hâtent vers les nombreuses fêtes qui s’échelonnent le long du Grand Canal.

Comment faire la différence entre une Chinoise et une Japonaise dans une gondole? Au chapeau. Les japonaises portent ce mixte très particulier entre le bob et la casquette de base-ball.

Les artisans verriers très agressifs à l’égard de la clientèle qui se laisse séduire par la verroterie des nombreuses boutiques proposant du Murano made in China à des prix dérisoires. Retour de flamme de Marco Polo?

Dans la rue qui mène au pont de l’Académie, je lève la tête, une fenêtre est ouverte, un rideau bat au vent et laisse voir une affiche sur le mur du fond. Un soldat allemand, avec un masque à gaz qui pend à son cou, regarde au loin; de part et d’autre de cette illustration sépia, en caractères gothiques: Helft uns siegen! Zeichnet die Kriegsanleihe (« Aidez-nous à triompher! Souscrivez l’emprunt de guerre »).

Dans le Museo Ebraico di Venezia du Ghetto, un guide jeune et disert, évoque devant un parterre de lycéens italiens assis par terre les traditions juives (naissance, mariage, mort) avec un humour woodyallenien. Aucun des visages des garçons ne se déride.

Mozart à Salzbourg, Vivaldi à Venise: même combat?
(à suivre)

photographie ©Lelorgnonmélancolique.

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Patrick Corneau