ferli4Si le roman du XIXe siècle dévoile les réalités, et seule la littérature pouvait les dénuder parce qu’elle en avait seule la volonté, le courage, et les moyens, il faut se demander si ce n’est pas le contraire aujourd’hui: le roman aurait tendance à les masquer. Toute « la littérature digestive » qui figure enimage tête de gondole semble « un moyen d’organiser le passé d’une manière qui ne pèse pas trop sur les épaules » comme André Glucksman le dit de l’Histoire. Philippe Sollers semble un des rares écrivains à inverser cette pente, d’un récit à l’autre, d’un « roman » à l’autre, il restitue avec alacrité, vitesse, précision et une ravageante ironie la matière vive du réel, le confondant chaos du présent dans sa toute soutenable pesanteur. En créant dans L’École du mystère le personnage de Fanny (avatar de tout ce que le contemporain a d’absurde, comique, veule, effondrant), ce subterfuge lui permet de donner la mesure et le format d’un habituel d’époque, d’un type d’humanité ou, comme disait Georges Pérec, d’un « bruit de fond ». Démonstration d’autant plus forte que Fanny plurielle est confrontée à la singulière et exigeante Manon, l’âme sœur, l’initiatrice des plaisirs, la clandestine.
En fin de compte et ce n’est pas si fréquent, un livre qui illustre à merveille ce qu’Adorno disait de la musique de Schoenberg: « Elle honore l’auditeur parce qu’elle ne lui concède rien ».
L’Ecole du mystère, Philippe Sollers, Gallimard,2015.

Illustration: éditions Gallimard.

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Patrick Corneau