olympia_edouard_manet_imagelarge« Dans ses notes récentes sur Olympia (datées de la fin 2006, elles viennent d’être publiées dans la Pléiade), Lévi-Strauss épris comme toujours de différences et de similitudes, avide de symétries qui semblent rétablir un ordre, au moins dans un espace et un temps limités, résume ainsi l’opposition entre le tableau de Manet et les Ménines de Vélasquez: « Dans le cas d’Olympia, on voit le tableau, mais pas le peintre; dans le cas de Manet, on voit le peintre, mais pas le tableau. L’un et l’autre sont pourtant là. » La présence de Manet dans Olympia est attestée, selon Lévi-Strauss, par le chat qu’on voit de face, et qui serait électrisé par l’intrus qu’il surprend: le peintre dont il croise le regard, face au tableau. Lévi-Strauss n’oublie certes pas que la nudité d’Olympia est le sujet principal, et que le chat est une énigme secondaire, mais il n’en a pas fini avec l’animal au poil hérissé, à la queue dressée comme un point d’interrogation: « On serait tenté de voir une troisième énigme, écrit-il en poursuivant son commentaire, dans le ruban noir autour du mu du modèle, sur lequel on a beaucoup glosé. Si, de façon apparemment gratuite, Manet a ajouté quelque chose de noir en haut du corps, ne serait-ce pas pour remplacer quelque chose de noir, ou tout au moins foncé, qu’il aurait supprimé en bas (il ne s’est pas contenté de masquer discrètement les poils pubiens comme les peintres de nu le faisaient avant lui. La main gauche de la femme, fortement appuyée, désigne le pubis en même temps qu’elle le cache, et les poils sombres réapparaissent dans la couleur du ruban qui les inverse doublement, dans un rapport presque métaphorique. Les poils pubiens sont ainsi rendus présents malgré leur absence, comme le chat, noir lui aussi, rend présent le peintre au travail, bien qu’on ne puise le voir ». Curieusement, il ne vient pas à l’esprit de Lévi-Strauss, obnubilé par des problèmes de structure, que le chat noir, au lieu de suggérer la présence du peintre, pourrait figurer la toison de la femme bien mieux que le ruban, par un glissement que le vocabulaire le plus courant atteste. Il est étrange que ce chasseur d’énigmes ne se pose pas une question simple, dont la réponse est pourtant toute prête: Et si ce chat, c’était une chatte?  »
Gérard Macé, Pensées simples I, Gallimard.

hmorganlunettesTout esprit si grand soit-il a son point aveugle. Gérard Macé épingle avec humour (et une certaine cruauté du littéraire face au philosophe) un grand intellectuel en flagrant délit de cécité face à un tableau où il croit faire preuve de finesse interprétative. La finesse en l’occurrence s’avère être un lourd bagage structuraliste qui avoue ses limites, qui affuble le regard de fatales œillères. Un excès d’intelligence et « j’y vois rien ». Alors que le simple bon sens (et sensibilité langagière) assurait la perspicacité. Tel est pris qui croyait prendre… Une belle leçon de modestie (et probité) intellectuelle.

Illustration: Olympia d’Edouard Manet, 1863, musée d’Orsay.

  1. catherine says:

    Votre ‘j’y vois rien » me rappelle le livre de Daniel Arasse « On n’y voit rien », où il nous aide à regarder cinq ou six tableaux, dont une Vénus (je crois) qui a pu inspirer Manet pour son Olympia.
    Livre hélas prêté, mais à qui ?, et jamais revenu !
    Bien à vous,
    Catherine

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Patrick Corneau