Je sens mon cœur
lentement s’alourdir
comme l’éponge se gorge d’eau
Un jour
j’ai changé le papier de mes fenêtres
et mon cœur s’est apaisé
Je n’oublierai pas cette journée
tout à m’affairer
sans penser à rien
Tristesse de ce sable sans vie
à peine on desserre les doigts
et il s’écoule
J’ai éteint la lampe
tout exprès pour me concentrer
sur des pensées futiles
La tristesse des femmes abandonnées
l’homme faible lui aussi
un jour la ressent
Ishikawa Takuboku, L’amour de soi, Arfuyen (traduit du japonais par Tomoko Takahashi et Thierry Trubert-Ouvrard avec la collaboration d’Alain Gouvret, préface d’Alain Gouvret)
Des paroles prononcées en feignant l’indifférence
furent écoutées de même
et c’est tout
Ces paroles précieuses
que je n’ai jamais dites
restent dans ma poitrine
Une pensée
semblable au sentiment
de socquettes sales qu’on remet
Respirant l’odeur de papier
d’un nouveau livre d’Occident
de tout mon être j’aspire à avoir de l’argent
Une enseignante
sur les lunettes
un reflet si triste
Ishikawa Takuboku, Ceux que l’on oublie difficilement, Arfuyen, 1983 (traduit du japonais par Alain Gouvret, Yasuko Kudaka et Gérard Pfister).
« Takuboku meurt à vingt-sept ans, ayant, du fond même de la misère humaine, jeté vers le ciel trop haut et la terre trop sourde la plainte la plus désespérée de toute la poésie japonaise. »
Georges Bonneau, 1938.
Illustration: origine inconnue.