gypsy-august-sanderhmorganlunettesPour paraphraser un titre de Gérard Macé, je pourrais dire que l’humanité qui nous est offerte à travers ces clichés un peu compassés, un peu figés, c’est « un monde qui ressemble au monde* ». C’est dire combien le nôtre, par comparaison, ne se ressemble plus. J’entends par là une société où chacun a une place (classe, corps de métier) et l’occupe avec une congruence, une probité, un naturel qui nous étonnent. Ce point m’a été révélé en regardant Yohji Yamamoto** commenter ces photos dont il s’inspire pour créer ses modèles de vêtements. Pour Yamamoto chacun de ces personnages possède un vêtement qui l’exprime davantage que son regard (lequel ne porte aucun poids psychologique); l’habit par sa richesse, son histoire, sa singularité est une signature qui résume l’individu-même. Le vêtement chezPHOT-AugSander-500-V-13 Sander est un langage, un code, il parle avec force, donne l’idée de « caractère », de « typique » (et non de « type ») autant qu’il dénote une fonction ou un statut. Un maître serrurier n’est pas habillé comme un jeune paysan, un propriétaire foncier ne ressemble nullement à un maître d’école, un paysan du Siegerland ne ressemble pas un paysan du Westerwald alors qu’aujourd’hui il y a peu de différence vestimentaire entre un professeur des écoles et un pharmacien. La grande vague de l’uniformisation est passée, elle a emporté les costumes et les coutumes pour ne laisser que l’uniforme et les modes (et non pas « la » mode) brouiller les identités. L’habit ne fait pas, ne fait plus le moine, ni le moi si je puis dire. Il n’y a plus d’adhérence entre une apparence et son être… Le costume moderne, trop banal ou trop peu différencié, ne permet plus d’élire une personnalité, de la distinguer dans la foule pour en faire cette intention affichée, ce signe vivant du désir dont le monde a besoin. Par ailleurs, concomitamment, la diversité des types et caractères humains s’est drastiquement appauvrie alors que la démographie et les flux d’images se sont emballés comme jamais noyant le distingué dans l’indifférencié.
Certes, n’oublions pas que Sander met la photographie au service d’une idéologie, d’un régime politique – l’Allemagne de Weimar (1918-1933), mais c’est aussi le portrait d’un pays convulsif et secret fait d’hommes et de femmes qui nous semblent dans leur vérité drue et vivante aussi insolites qu’une tribu d’Amazonie. C’est en portant sur ces images un regard non pas platement socio-historique mais comme Yohji Yamamoto avec une attention au plus près de la concrétude des choses, de leur détails (formes, matières, textures) qu’éclate l’austère et troublante beauté de ces photographies.

*Kyôto : Un monde qui ressemble au monde de Gérard Macé, Éditions Le Temps qu’il fait, 2011.
**Carnet de notes sur vêtements et villes, film documentaire franco-allemand réalisé par Wim Wenders, 1989.

Illustrations: « Gitan » vers 1930 et « Agent immobilier »,  1928.

  1. Bernard Birsinger says:

    BOnjour,

    Bravo pour votre article sur August Sander.

    Pour vous : sur Google tapez =  »Sur les traces d’August Sander » / Bernard Birsinger.
    = 25 pages /des News 2016, avec une  »Lettre ouverte à August Sander » !!!

    Bernard Birsinger Photographe.

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Patrick Corneau